Suicide et grandes écoles : le tabou

 

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N’en déplaise à Éric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L’Express et, par ailleurs, auteur d’un blog passionnant sur ce journal et plus généralement sur la presse écrite, n’en déplaise donc à mon ami Éric, non les élèves de Normal Sup et de Sciences Po ne sont pas des « pauvres chéris », comme il l’écrit dans un tweet hier après-midi.

L’origine de ce tweet ? Un article paru sur le site Streetpress, partial peut-être, incomplet sûrement, mais qui a le mérite de soulever un vrai tabou sur la santé psychique des élèves des grandes écoles, soumis qu’ils sont à une pression intense et quotidienne, au point de songer parfois au suicide. Un article que je vous engage vivement à lire jusqu’au bout, y compris pour les commentaires (enflammés !) qu’il suscite.

Pour avoir tenté et raté l’une (Normale Sup Lettres), pour avoir tenté et réussi l’autre (Sciences Po), je peux en tout cas témoigner de la dureté de ces études. De la violence, même – en tout cas pour certains, en tout cas certains jours – qui peut émerger en cours. Y compris dans les rapports entre élèves.

Je me souviens, par exemple, de cette « camarade » de TD à Sciences Po à qui j’avais prêté de nombreuses notes et qui les avait « malheureusement » égarées au moment de me les rendre, deux semaines avant les examens… Je me souviens des « colles » en khâgne, qui consistaient à tirer au sort un texte grec et à le traduire en 15 minutes, sans « Bailly » (le dictionnaire grec/français de référence) parce que quand même « on est bon à Henry IV, on peut se débrouiller sans dico » – oui oui sûrement… Et tant pis pour la honte à dévoiler ainsi son ignorance en public.

Je me souviens de ce prof de thème latin qui avait adopté le principe suivant : tous les élèves partaient avec une note potentielle de 20 points sur 20, points qu’il enlevait des points à chaque faute commise. Résultat : j’ai passé l’année à me balader entre des – 35 (record !) et un miraculeux – 7 (autre record), sans jamais atteindre la note de 0 sur 20. Allez retrouver le moral après ça…

C’est ainsi que fonctionne l’élitisme à la française. Comme je le faisais déjà remarquer dans un post plus ancien, l’Education Nationale et ses profs sanctionnent l’erreur, mais ne valorisent jamais la découverte ou la prise de risque. Voilà pourquoi, de l’école primaire aux grandes écoles (et, toujours, ce même mot d’école !), ce sont les plus forts qui gagnent. Tant mieux s’ils sont aussi les meilleurs. Tant pis pour les autres, tout aussi brillants mais moins résistants.

Un dernier mot, quand même, pour relier ces réflexions à l’objet de mon blog, à savoir le travail, la santé, et la santé au travail : à en croire nos dirigeants, le mode de management actuel développerait l’autonomie et le sentiment de responsabilité des salariés. Dans les faits, la première est souvent factice, et le second bien écrasant. Ce type de management ne ressemblerait-il pas au mode de sélection des grandes écoles ? Ne favorise-t-il pas, lui aussi, les plus forts au détriment des meilleurs ?…