Lettre au Docteur Dupagne

Cher Dominique Dupagne,

Il y a quelques jours, vous m’avez envoyé le tweet suivant

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(Au cas où le texte passerait mal, je le ré-écris :« @vincentolivier Finalement, tu as bien fait d’arrêter le journalisme quand je relis « ça » à la lumière de l’actualité »)

Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire, je la résume en quelques mots. Cela fait des années que la controverse fait rage parmi les médecins, entre les « pro » et les « anti » dépistage du cancer de la prostate – les pro accusant les anti d’obscurantisme, les anti accusant les pro d’être vendus aux labos qui commercialisent ces tests. Voilà pour le fond de l’affaire.

Cela posé, que vous répondre ? Que j’ai lu en détail les dernières recommandations de l’Institut National du Cancer (INC) sur la question – c’est cela, « la lumière de l’actualité » dont vous parlez. Publiées la semaine dernière, elles sont effectivement très claires : « A l’heure actuelle, les études ne permettent pas de conclure clairement sur les bénéfices » du dépistage, du fait de « sa fiabilité limitée ». Est-ce si différent de mon papier de 2011 (cela fait plus de cinq ans), où j’écrivais notamment que « le dépistage par le biais du taux de PSA ne fait pas l’unanimité, y compris chez les spécialistes, en raison de son manque de fiabilité et de son taux élevé de faux négatifs et de faux positifs. La Haute Autorité de Santé n’a d’ailleurs pas fait de recommandations en ce sens. »?

Mais je ne prends pas la plume pour me justifier ni pour vous faire changer d’avis, ce serait peine perdue. La vraie raison de ce post, c’est que votre tweet m’a fait mal et que j’éprouve le besoin de vous le dire. Je ne vous connais pas ; nous ne nous sommes jamais parlé ; en trente ans de journalisme, je ne vous ai jamais cité une seule fois –  je n’ai pas la prétention de penser que ceci explique cela. Alors pourquoi ce tutoiement agressif et méprisant ?

Votre tweet m’a fait mal surtout parce qu’il se permet de juger à la fois l’homme et le professionnel que je suis. Oui cher Dominique, j’ai arrêté le journalisme. C’est mon choix, un choix difficile et néanmoins résolu. Qui êtes-vous pour juger si j’ai bien fait ou pas ? Pour ma part, ne vous en déplaise, je ne renie rien de ce que j’ai écrit pendant ces trente années. Même si je l’ai quitté volontairement, le journalisme, pratiqué avec éthique et exigence, reste à mes yeux l’un des plus beaux métiers du monde. Comme l’est, sûrement, la médecine pour vous.

Lorsque j’ai lu votre tweet, j‘ai aussi pensé à vos 9842 followers qui ne me connaissent pas plus que vous et je me suis dit : « Bienvenue dans le monde des réseaux sociaux » dont je ne connaissais pas encore la violence. Peut-être suis-je un peu naïf. Ou un peu susceptible, car je ne croyais pas mériter ce genre d’anathème.

Je suis allé voir le site que vous avez créé en 2000, Atoute.org, qui privilégie l’« éthique » et la « déontologie médicale » pour « échanger dans un espace convivial » (sic). J’y ai trouvé de tout : des communiqués, des forums, des notices de médicaments, des articles pour les vaccins (et leurs adjuvants), contre les vaccins (celui contre la grippe). Et, bien entendu, des articles contre le dépistage du cancer de la prostate. Mais sans insulte ni démagogie.

J’ai aussi regardé votre compte Twitter. La personne qui l’écrit ne ressemble pas toujours au fondateur d’Atoute.org. A parcourir vos tweets précédents et les termes que vous employez (« couillons », « crapules », « pourris », « cons », « chiants » et j’en passe), j’ai l’impression que vous êtes coutumier de l’invective, voire de l’injure comme si c’était l’unique expression du débat d’idées. C’est votre approche. Pour ma part, à la polémique, je préfère la confrontation ; et l’échange de points de vue à la calomnie.

Alors, sans jouer au psy (le médecin, c’est vous), je vous répondrai ceci, cher Dominique : vous semblez aimer partir en guerre contre les injustices insupportables, contre la Terre entière. Fort bien. Votre rage vous appartient. Mais elle n’a rien à voir avec la santé publique. Elle parle de vos obsessions et de votre vision du monde. Elle en dit plus, en définitive, sur vous-même que sur ceux que vous pourfendez. Je vous laisse donc avec votre rage. De mon côté, je continuerai d’écrire. Et j’essayerai, comme je l’ai toujours fait, de réfléchir avec honnêteté et humilité. Et, parfois, un peu de colère.

Bien à vous,