Métiers interdits pour malades chroniques

La belle histoire que voilà ! Une loi votée à l’unanimité, qui signe la fin d’une injustice, portée par un jeune diabétique qui apostrophe brillamment les politiques. Une histoire où chacun, parlementaires, patients et administrations publiques se mettent au service de la citoyenneté.

Reprenons. La loi votée à l’unanimité, c’est celle du 25 novembre 2021. L’injustice, c’est celle qui interdisait jusque-là à des malades chroniques l’accès à de nombreuses professions, marin, pompier, hôtesse de l’air, pilote d’avion. Le jeune diabétique, c’est Hakaroa Vallé qui, à l’âge de seize ans, s’emporte devant la commission du Sénat : « Comment imaginer qu’en 2021, je ne puisse être cuisinier dans l’armée, moniteur d’équitation, linguiste, brancardier, agent de restauration, géographe, mécanicien, maitre-chien ou contrôleur de train ? Quel expert a pu imaginer que la couleur d’un uniforme puisse augmenter les risques liés à nos pathologies ? »

Le jeune homme faisait allusion à tous ces « métiers interdits » depuis des lustres aux diabétiques (4 millions de Français) et à d’autres malades chroniques (20 millions de Français), insuffisants rénaux, insuffisants respiratoires, patients atteints de MICI ou contaminés par le VIH, bref toutes les personnes qui nécessitent des traitements réguliers et des aménagements particuliers. La police nationale, l’armée, certaines administrations mais aussi des entreprises privées usaient en effet de leur règlement intérieur pour refuser d’embaucher ces Français pas tout à fait comme les autres.

Des exemples ? En 2018, Alizée Agier, championne du monde de karaté, postule pour être gardien de la paix. Refus de la Préfecture de Strasbourg qui argue d’un état de santé déficient. Comme si être une sportive de très haut niveau n’était pas une preuve en soi de sa bonne condition physique. Elle devra porter l’affaire devant la justice pour obtenir enfin satisfaction. Plus récemment, un marathonien chevronné (les 42 kilomètres parcourus en moins de 3 heures) a été recalé comme chauffeur dans la fonction publique. Un élève polytechnicien, classé parmi les premiers de sa promotion, n’a pu intégrer cette école. Trois diabétiques. Trois exclus de la société.

Cela fait plus de vingt ans que la Fédération française des diabétiques est aux côtés de ces personnes. Vingt ans qu’elle « les accompagne, finance leurs dossiers quand ils portent plainte. Parfois on gagne, parfois on perd. Parfois les discriminations sont à l’embauche, parfois dans le déroulement de carrière. Mais cela reste un combat, d’autant plus nécessaire que les métiers dont on parle sont des métiers à vocation » explique Jean-François Thébaud, vice-président de la Fédération. Comme pour ce motard de la police, placardisé depuis la découverte de son diabète, à qui on a retiré sa licence professionnelle – alors qu’il continue à se rendre à son travail … sur sa moto personnelle.

Depuis 2021, année du centenaire de la découverte de l’insuline, ces pratiques sont en principe interdites. En principe … Anticipant les éventuelles réticences de l’administration, les parlementaires avaient eu la bonne idée d’inscrire dans la loi la création d’un comité interministériel. Sa mission : travailler avec les associations de patients concernées pour obtenir l’application effective de cette loi dans les trois ans à venir au plus tard. C’est-à-dire fin 2024.

Patatras ! Cette semaine les associations en question ont claqué la porte de ce qui est à leur yeux « une instance fantoche incapable de mettre un terme aux discriminations à l’emploi ». Dénonçant des représentants ministériels « réfractaires au dialogue et murés dans un silence persistant et incompréhensible », elles renoncent – bien malgré elles.

De fait, la police, la fonction publique et plus encore l’armée font preuve d’une mauvaise volonté, voire d’une obstination qui dépasse les bornes. Interrogé par un sénateur sur cette question, le ministère des Armées répondait ainsi, en juillet 2023, que la décision d’inaptitude envers toute personne diabétique était « justifiée et proportionnée » et ce, malgré les progrès thérapeutiques majeurs dont bénéficient ces patients.

« Je suis effondré », lance Gérard Raymond, Président de France Assos Santé, l’association nationale qui regroupe des dizaines d’associations d’usagers et des millions de Français, dont la Fédération des diabétiques, Aides, AFA Crohn, Transhépate et autres. « On savait qu’on allait nous mettre des bâtons dans les roues et qu’il y aurait de fortes réticences. Mais de là à imaginer que des administrations s’assoient sans vergogne sur une loi fondée sur le respect des citoyens. Quand l’État ignore des obligations qu’il édicte lui-même ce sont les fondements de la République qu’on attaque ».

Voilà. Cela aurait pu, cela aurait dû être une belle histoire. C’est une déconvenue, un naufrage