Journal d’Agnès Buzyn : les municipales vues de l’intérieur


« Je n’aurais jamais dû accepter ». Aujourd’hui encore, Agnès Buzyn regrette de s’être laissée convaincre de conduire la campagne des municipales à Paris en 2020. Sans doute était-ce mission impossible que de remplacer au pied levé Benjamin Griveaux. Pourquoi donc avoir dit oui ? « On ne m’a pas vraiment laissé le choix », m’a-t-elle confié récemment quand je lui ai posé la question. De fait, à lire son Journal, on mesure à quel point la pression sur ses épaules a été forte. Mais à quel point, aussi, elle a fait tout son possible pour y échapper.
Ainsi, dès le 27 janvier, elle fait part à Benjamin Griveaux de son refus d’être tête de liste dans un arrondissement. Une semaine plus tard, le 8 février 2020 exactement, elle envoie un texto au « PR » (Président de la République) pour lui expliquer sa décision de ne pas participer du tout à la campagne – décision qu’elle confirme à Edouard Philippe dans la foulée.
La chose semble donc actée et acceptée au plus haut niveau. Le 14 février, interrogée dans la matinale de France Inter, elle annonce d’ailleurs officiellement son retrait. « Motif sincère, trop de travail. Ma décision était prise depuis quelques jours mais j’attendais le bon moment, à la fois pour Benjamin Griveaux et moi », précise-t-elle dans son Journal. Patatras ! Au même moment, ce dernier donne une conférence de presse : empêtré dans le scandale de la photo de son sexe envoyé à une jeune fille, il se retire de la campagne. Fin de la séquence Griveaux.
De son côté, Agnès Buzyn s’envole pour Marseille où elle doit s’entretenir avec les Français rapatriés de Chine et mis à l’isolement dans un centre. Pendant la visite, elle éteint son portable mais « les SMS tombent par dizaines : tous les ténors de la majorité et les conseillers du Président ont essayé de me joindre les uns après les autres » raconte Agnès Buzyn. La pression monte car la majorité a annoncé par communiqué de presse qu’un nouveau candidat serait désigné d’ici dimanche. Nous sommes vendredi soir et à 00H44 elle reçoit un texto du PR : « Si vous êtes prête à relever le défi, j’y suis plus que favorable et je soutiendrai à fond ».
La journée de samedi s’écoule entre coups de fil avec le PR et discussions en famille. Dans un climat tendu, rapporte Agnès Buzyn : « On {les conseillers du PR} m’a fait comprendre qu’un refus serait mal interprété, d’autant que j’avais déjà refusé la tête de liste aux Européennes. En d’autres termes, avec le remaniement qui se profile dans quatre semaines, il semblerait que je n’aie pas le choix de ne pas y aller. »
Pressée de toute part, elle appelle le PR dimanche matin. La nuit a été blanche mais son choix est arrêté. C’est oui. En y mettant toutefois une condition : pouvoir, comme G. Darmanin et E. Philippe, rester ministre tout en menant campagne. Refus net et définitif du PR. En bon petit soldat qu’elle est, Agnès Buzyn s’incline. Le jour même, à 17H15, elle fait ses affaires et quitte l’avenue de Ségur.
Commence alors une campagne électorale où les difficultés, les chausse-trappes, les pièges en tous genres s’accumulent. Ses premières prises de contact avec l’équipe de Griveaux le lendemain se passent mal : « Certains sont en larmes et me jaugent avec circonspection. Il me semble deviner une pointe d’hostilité par endroits. La greffe s’annonce compliquée », constate pudiquement Agnès Buzyn … Elle le restera tout au long de la campagne.
Pour autant, malgré ce climat détestable le récit qu’elle en fait est passionnant car vu de l’intérieur et bourré d’anecdotes, souvent drôles, parfois tristes, toujours précises. En particulier quand elle détaille les manœuvres de ses adversaires. Illustration.
Rachida Dati l’appelle le 27 mai, lui « promet un pacte de non-agression et souhaite des manœuvres de rapprochement dans plusieurs arrondissements ». Le 30 mai, mécontente d’une interview qu’Agnès Buzyn a donnée au Figaro, elle la rappelle, « m’agonit d’injures et me prévient qu’elle lâchera les chiens » (sic). Le 31 mai, à 23H, nouvel appel : « une tirade ininterrompue de 35 minutes de leçon politique, me citant successivement sa mère, sa fille, sa famille nombreuse, Simone Veil, Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron et chacun des conseillers du Président qu’elle dit avoir régulièrement au téléphone (…) Il est une heure du matin, j’ai réussi à placer trois mots. »
Cédric Villani non plus n’apparait pas sous son meilleur jour. Le 20 février, soit 24 heures avant le dépôt définitif des listes, il accepte une rencontre. Agnès Buzyn lui propose un accord, ce dernier fait semblant d’hésiter et Il faut attendre la fin de la réunion pour qu’il dise enfin la vérité : fusionner les deux listes, ce serait prendre le risque de dépasser le plafond des dépenses autorisées car il a déjà largement entamé les siennes ! Un cynisme que Cédric Villani développera d’ailleurs tout au long de la campagne des municipales. Ainsi, trois jours avant le premier tour, le 12 mars, il lui lance « J’irai au plus offrant ». Le 19 mai, il se propose d’être tête de liste de En Marche à sa place. Et le 28 mai, il tente de négocier son ralliement à Anne Hidalgo – ralliement refusé en raison de ses exigences démesurées.
Le 4 mars, cette même Anne Hidalgo participe avec les autres candidats à un débat télévisé. Problème : « Elle a voulu venir en métro pour faire fille du peuple mais se trompe sur les lignes empruntées » et arrive en retard ! A en croire Agnès Buzyn, la Maire de Paris n’est d’ailleurs guère soutenue par certains ténors socialistes : Bertrand Delanoë « ne l’apprécie visiblement pas » mais il ne peut soutenir officiellement l’ex-ministre « car il ne veut pas trahir sa famille socialiste ». Quant à Jack Lang, il déplore « les goûts de chiotte » d’Anne Hidalgo en matière d’aménagement urbain. Ambiance …
Mais le meilleur, le plus drôle du livre d’Agnès Buzyn sur le monde politique concerne Nicolas Sarkozy. Dans ce même débat télévisé du 4 mars, la candidate En Marche a eu l’outrecuidance de parler de « Monsieur Sarkozy » au lieu de « Monsieur le Président Sarkozy ». Crime de lèse-majesté impardonnable. Deux jours plus tard, celui-ci l’appelle : « Il éructe, me hurle dessus, me promet de « sulfater » ma campagne ». Après s’être platement excusée, Agnès Buzyn informe par texto le PR de la teneur de ces échanges. La réponse tombe 20 minutes plus tard : « C’est très bien si les choses se sont calmées avec NS. Il est très émotif et exotique, mais mieux vaut l’avoir neutre ou de son côté ».
« Exotique » … Pas sûr que Nicolas Sarkozy reprenne à son compte l’adjectif !
Non, décidément, Agnès Buzyn n’avait rien à faire dans ce marigot de crocodiles.
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