« La science, c’est l’assurance-vie de notre pays ! »

Avec la création du cercle de réflexion appelé Évidences, Agnès Buzyn met la dernière touche à une réflexion qui remonte à la crise du Covid 19, réflexion entamée avec l’écriture de son Journal paru en 2023. A savoir : comment lutter contre les fake news et redonner de la confiance envers la science, au moment où nos civilisation occidentales connaissent une bascule fondamentale dont l’élection de Donald Trump n’est que la partie la plus visible de l’iceberg ?

Réponses dans cet entretien (1)

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer Évidences ?

Je suis partie du constat que les politiques et, au-delà, la sphère publique et l’ensemble de la société civile se désengagent des enjeux essentiels liés à la science. Or, celle-ci est indissociable de l’idée de démocratie, elle est l’assurance-vie de l’avenir de notre pays ! C’est pourquoi je souhaite faire de la science un objet politique à part entière, pas seulement une « danseuse » à qui on donne un peu d’argent en espérant en tirer bénéfice avec une découverte de temps en temps qui viendrait améliorer le quotidien des gens.

Vous avez eu du mal à recruter des adhérents ?

Du côté des scientifiques, pas du tout ! Tous sont convaincus de l’intérêt de cette démarche. Mais le risque était justement de rester dans l’entre-soi et dans l’incapacité de porter ce projet dans la société tout entière. C’est la raison pour laquelle la composition d’Évidences est plurielle. On y trouve aussi des philosophes, des ingénieurs, des économistes, des journalistes, des start-uppeurs, des hauts fonctionnaires … 

Nous avons privilégié quatre axes de travail : la promotion de l’esprit critique, l’attractivité des filières et des métiers scientifiques et techniques, la place de la science et de l’expertise dans la décision publique et, enfin, le soutien à la recherche et l’innovation.

Et quelle est la finalité d’Évidences ?

De produire des connaissances, des rapports, des pistes de réflexions. Bref, d’acculturer notre société à ce qui constitue une démarche scientifique.  Car il ne faut pas confondre un débat d’opinion qui n’est au final qu’un échange de points de vue personnels et un débat entre experts, qui repose sur une confrontation d’hypothèses et de méthodes expérimentales pour approcher la vérité.

A propos du Covid par exemple, il ne s’agissait donc pas de « croire » ou de ne pas « croire » à l’hydroxychloroquine. Il s’agissait de voir que la méthode de Didier Raoult n’était pas valable, qu’elle était infondée. Pas besoin d’ailleurs de chercher très loin, c’était simplement une question de bon sens : pour cette épidémie dont la mortalité était aux alentours de 1%, comment voulez-vous qu’une étude du 26 cas (la première dont s’est vanté Didier Raoult) puisse permettre de conclure quoi que ce soit !

Quels liens faites-vous entre science et démocratie ? Ou, plus précisément, pourquoi selon vous une élection démocratique ne suffit pas, ne suffit plus à faire un pays démocratique ?

Effectivement, on confond souvent exercice démocratique et liberté de vote. Beaucoup de régimes autoritaires ont été élus et permettent de voter sans que ce ne soit des démocraties telles qu’on les imagine en Europe.

La « vraie » démocratie, celle que professaient les Grecs et les Latins, c’est la possibilité de délibérer, collectivement et de façon apaisée, sur la base de faits avérés. Et tous les mots sont importants dans cette définition.

Mais alors, quel peut être le rôle d’une conférence citoyenne comme notre pays en a connu sur le dérèglement climatique ou la fin de vie par exemple ?

La réponse est délicate. La promesse de suivre aveuglement les éventuelles recommandations d’une conférence citoyenne ne saurait être tenue.  Car le rôle du politique est d’arbitrer entre le désir des citoyens et d’autres considérations contingentes.  Sur ces questions, la ligne de crête est étroite entre les attentes et les contraintes.

Prenons la santé par exemple : La définition de l’évidence based médecine (médecine fondée sur les preuves) est en réalité un triptyque entre ce que dit la science ( les recommandations), les souhaits du patients et l’expérience du médecin qui va prendre la décision finale. J’aimerais qu’il y ait le même triptyque entre la science, les citoyens et les politiques. Sans céder ni au scientisme, ni au populisme.

Comment lutter contre les fake news dans notre société actuelle ?

Si je le savais, je serais une héroïne des temps modernes ! (Rires). Mais je sais faire la différence entre la science et les sciences. La première repose sur l’accès à des données validées, avérées. Les secondes sont une recherche, une démarche, un cheminement avec des hypothèses qui seront – ou pas – validées au fur et à mesure que l’on progresse vers la connaissance.

Le travail du CIRC (centre international de recherches sur le cancer) basé à Lyon en fournit une bonne illustration, dans sa classification entre cancérigènes possibles, probables ou certains. Dans les derniers, il y a notamment le tabac, c’est une évidence désormais. Dans les deux autres, les substances ont évolué au fil du temps. Le glyphosate, lui, est récemment passé de possible à « probable », tandis que l’aspartam reste à ce jour classé en « possible ».

Que les citoyens soient informés de façon éclairée, qu’ils soient en capacité d’appréhender correctement les risques auxquels ils sont soumis, voilà notre projet. Il est ambitieux. Il mérite largement, je le pense, qu’on y consacre l’énergie nécessaire.

(1) : le premier séminaire de l’Institut Evidences se tiendra ce lundi 24 mars à 8H30 dans l’amphithéâtre Curie