Consultation à 50 euros : ma réponse aux commentaires


Je me doutais que mon post précédent sur la consultation à 50 euros demandée par les généralistes (pour lire, cliquer sur ce lien) allait provoquer pas mal de réactions. Mais vu l’avalanche de commentaires (215 !) et le ton parfois agressif de certains, il me semble nécessaire de préciser mon point de vue.
En préambule, je voudrais dire ceci :
Dans de nombreux commentaires émanant de médecins, y compris les plus sévères, j’ai vu avant tout l’expression d’une réelle souffrance et le sentiment d’être mal aimés, mal compris. Je respecte l’une et l’autre et je n’entends pas les contester.
J’ai une profonde admiration pour ce métier, l’un des plus beaux au monde. L’un des rares (comme avocat, enseignant, psy ou journaliste) qui soit plus qu’un métier au sens où il témoigne d’un rapport au monde global.
Mes deux parents sont médecins, j’ai plusieurs amis médecins (homme et femme, libéral et hospitalier, généraliste et spécialiste) et je sais à quel point la plupart d’entre eux, quand ils parlent de leur activité, oscillent entre trois mots : colère, déception et désespérance.
Ceci posé, je voudrais d’abord revenir sur deux points qui ont cristallisé les réactions les plus virulentes : la comparaison avec les coiffeurs et le tarif de 50 euros.
La comparaison avec les coiffeurs n’émane pas de moi. Je l’ai entendue dans la bouche de la quasi-totalité des responsables syndicaux que j’ai rencontrés depuis plus de vingt ans. Désobligeante pour les coiffeurs, elle témoigne surtout d’une vision purement mercantile – et non représentative – de la médecine.
Elle est dévalorisante car elle donne une mauvaise réponse (une consultation vaut-elle plus ou moins qu’une coupe ?) à une vraie question (combien « vaut » une consultation en soi ?). A la limite, elle se situe dans le même registre que le patron qui justifie son gros salaire par le fait que lui, contrairement à un ouvrier, sauve des emplois.
Sur la consultation à 50 euros : l’augmentation demandée devrait être automatique, généralisée et sans contrepartie. Pourquoi pas après tout, mais je ne vois pas en quoi cette augmentation va résoudre le problème des déserts médicaux. Ni en quoi elle va arranger la situation de l’hôpital et répondre à la pénurie de soignants. Bref, je ne vois pas en quoi elle va améliorer notre système de santé.
Et justement, dans quel état est notre système de santé aujourd’hui ?
La France est l’un des rares, sinon le seul pays au monde où l’on peut se présenter aux urgences et être soigné sans conditions de ressources. Un pays où le reste à charge demeure très faible et où tout le monde peut bénéficier de la Sécurité Sociale. Un pays qui offre gratuitement tout un tas de dépistages. Ce système est magnifique.
Mais un pays, aussi, où la santé mentale est peu ou pas prise en charge, où les inégalités s’aggravent de jour en jour, où les déterminants sociaux pèsent lourd (sept ans de différence d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre !). Ce système est catastrophique.
Pourquoi un tel paradoxe ? Parce que dans notre système le payeur est invisible et le rembourseur, aveugle.
Je m’explique : entre le tiers payant, les mutuelles et les assurances privées, personne ne sait ce qu’il dépense précisément pour une consultation ou un passage en pharmacie. Le coût est inconnu, donc invisible. En revanche, la Sécu couvre tous les frais, des interventions aux examens en passant par les médicaments à partir d’une grille établie. Mais sans jamais discuter le bien-fondé de ces dépenses : la prise en charge est systématique, donc aveugle.
C’est ainsi : notre système est ontologiquement inflationniste et non évalué. Ce qui peut donner le meilleur (un scanner si besoin) comme le pire (un scanner si je veux). Résultat : ce qui était hier une chance est aujourd’hui devenu un handicap.
L’hôpital ? Il est sous perfusion. Sans personnel, sans moyens, sans vision. La médecine libérale ? Elle est en crise, avec des professionnels débordés, désespérés de ne pouvoir faire correctement leur métier. Les usagers ? Entre la maternité qui ferme, le spécialiste introuvable et l’attente aux urgences, ils ont le sentiment d’être livrés à eux-mêmes.
Faut-il en conclure que le système à la française est condamné ? Par forcément. Je connais des hospitaliers épanouis, des patients satisfaits et même … des généralistes heureux ! Des généralistes qui ne travaillent pas 70 heures par semaine, qui gagnent bien leur vie et qui, surtout, aiment le métier qu’ils font car ils l’exercent dans de bonnes conditions. Ils sont rares j’en conviens, et si on veut qu’ils soient plus nombreux, c’est l’ensemble du système qu’il faut remettre à plat.
Les pistes sont connues. Elles passent notamment par une libération du temps médical, dévoré par des tâches administratives. Par une meilleure organisation des professionnels entre eux – ce qui suppose de faciliter les initiatives sur le terrain avec trois mots clés : autoriser, encourager, évaluer. Elles passent aussi, évidemment, par un réajustement des tarifs de consultation.
Mais les médecins doivent, eux-aussi, se remettre en cause et modifier profondément leur façon de travailler. Car il faudra bien un jour :
Accepter le partage des tâches : un généraliste ne peut plus s’opposer à ce qu’un pharmacien renouvelle certaines ordonnances, ni à ce qu’une infirmière fasse un pansement.
Sortir de l’exercice solitaire : un médecin ne peut plus exercer sans une étroite collaboration avec les autres professionnels de santé
Se former régulièrement : un médecin ne peut plus se contenter de ce qu’il a appris durant des études achevées il y a dix ans.
Changer le mode de rémunération : le paiement à l’acte ne peut plus être « la » règle.
Certains professionnels l’ont bien compris. Ils le pratiquent déjà. D’autres renâclent, par peur ou par lassitude. Mais je suis persuadé qu’au fond, ils y trouveraient leur compte. Alors ? On essaye ? …