Grippe : oui à la vaccination obligatoire des soignants

Dé-ses-pé-rant ! Oui, je trouve désespérante cette réalité : aujourd’hui en France, seul un quart des professionnels de santé se fait vacciner contre la grippe. Et j’ai beau proclamer qu’il faut toujours « faire le pari de l’intelligence », je me demande comment combattre une telle bêtise, une telle absence de déontologie – celle-là même qui, rappelle l’Ordre des Médecins, exige que le médecin soit « au service de l’individu et de la santé publique », plutôt que de privilégier ses convictions personnelles ou idéologiques, aussi respectables fussent-elles.

Cette semaine débute en effet la campagne de vaccination contre la grippe. Une maladie qui, on a tendance à l’oublier, continue de faire des ravages. L’hiver dernier, on a ainsi dénombré 65 000 passages aux urgences, 11 000 hospitalisations et près de 10 000 décès. Une maladie pour une part évitable et qui frappe les plus fragiles – personnes âgées, immunodéprimées, en insuffisance respiratoire ou cardiaque etc. Bref, celles qui sont le plus susceptibles d’aller voir un soignant et donc… de se faire contaminer si ce dernier n’est pas vacciné !

Certes, le phénomène n’est pas nouveau : il y a dix ans déjà, une enquête nationale révélait que la couverture vaccinale atteignait à peine 26% (55% des médecins, contre 24% des infirmières et 12% des aides-soignantes), alors qu’à la même époque aux États-Unis le pourcentage était trois fois plus élevé. Pour autant, on était en droit d’espérer que les campagnes de sensibilisation menées depuis porteraient leurs fruits. Et que le sens des responsabilités pousserait ces mêmes soignants à protéger leurs patients. Or, il n’en est rien. Pire, la situation s’aggrave : selon une étude menée en 2014 dans deux services particulièrement exposés (gériatrie et soins palliatifs) de l’hôpital Paul Brousse à Villejuif, 21% des professionnels interrogés étaient vaccinés.

Comment expliquer une telle aberration ? La première raison pourrait faire sourire s’il n’y avait tant de vies en jeu : une proportion écrasante des soignants (83% des infirmières, 91% des sages-femmes et même 73% des médecins) ne sont pas convaincus de la gravité des complications possibles d’une grippe ! Oui, oui, vous avez bien lu : ces mêmes soignants qui expliquent à longueur de journée qu’il faut se faire vacciner, pensent au fond que cela ne les concerne pas. Comme s’ils étaient quasi naturellement immunisés. Comme s’ils ne pouvaient l’attraper et encore moins la transmettre.

La seconde raison est plus dramatique encore : au-delà d’une perception erronée, quasi irrationnelle de la non-dangerosité de ce virus, de nombreux professionnels doutent de l’utilité d’un vaccin. De fait, son efficacité n’est « que » de 70% en moyenne. Mais 70%, c’est mieux que 0% et, surtout, ce mouvement de défiance est global et concerne tous les vaccins. Ainsi, en 2017 près d’un médecin sur trois se déclarait contre les vaccins « de façon générale » – soit le pourcentage le plus haut d’Europe, peut-être même du monde. Et je n’ose même pas évoquer les 10% de professionnels de santé irresponsables, il n’y a pas d’autre mot, qui affirment que le vaccin est dangereux car il peut « donner la grippe », voire provoquer des maladies très graves, sclérose en plaques et j’en passe.

Tout cela est d’autant plus dommageable qu’il suffit parfois de quelques actions de sensibilisation pour que les professionnels évoluent. Le CHU de Caen par exemple s’y est attelé fin 2013, et en l’espace d’une année la couverture vaccinale est passée de 35% à 51% dans l’ensemble des services, avec une mention particulière pour la gynéco-obstétrique (de 26,4 à 49%). Même phénomène à l’hôpital de la Croix Rousse à Lyon, où un e-learning lancé par Bruno Lina, spécialiste mondial de la grippe, a rencontré un tel succès que l’établissement n’a pu répondre à toutes les demandes de vaccination !

D’où l’intérêt des recommandations émises par l’Académie de Pharmacie, qui a rendu un rapport sur le sujet en mai dernier. Parmi ses préconisations, certaines relèvent d’ailleurs du bon sens : établir un registre annuel électronique, assurer la gratuité pour les professionnels, leur proposer une vaccination au sein même du lieu de travail, voilà qui faciliterait les choses et augmenterait quasi mécaniquement le taux de couverture chez les soignants. A défaut, il faudra bien en passer un jour ou l’autre par l’obligation. L’Ordre des Médecins s’y est déjà déclaré favorable, signe que l’heure n’est plus à la seule exhortation.

Quant à Agnès Buzyn, elle lançait en 2017 cet avertissement : si les soignants ne changent pas rapidement d’attitude, elle envisagera « des mesures plus incitatives, voire coercitives ». Ce serait triste d’en arriver là. Mais ce serait encore plus triste de ne pas le faire. Il en va de la santé des Français, et tant pis si cela remet en cause le principe de liberté individuelle de se faire vacciner ou pas.