Sida : pari gagné !

« Je ne laisserai personne sortir de cette pièce ou quitter Lyon tant que les 14 milliards n’auront pas été obtenus ». Il fallait quand même à Emmanuel Macron pas mal de culot  (d’aucuns diraient de sens de la mise en scène) pour ouvrir le Fonds mondial avec cette menace. Certes, le Président n’en est pas à son premier coup d’éclat – souvenons-nous du « Make our planet great again » lancé à Donald Trump quand celui-ci s’est retiré des accords de Paris. Mais le pari était ambitieux et, surtout, loin d’être gagné d’avance.

N’empêche. Emmanuel Macron y est parvenu et la 6ème « conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme » (un peu long, je le reconnais !) est un succès incontestable : les milliards de dollars ont bel et bien été récoltés. Dépassés même, puisque le chef de l’État a évoqué la somme de 14,02 milliards, le tout avec un degré de précision qui laisse quelque peu pantois… Je dirais même dubitatif si l’on se rappelle que, sur le milliard de dollars promis par la France il y a trois ans, près de 400 millions n’ont toujours pas été versés.

Au-delà des promesses financières, cette conférence aura aussi été l’occasion pour Emmanuel Macron de faire pression sur quelques pays. Et cela, sous la forme du « name and shame » (nommer et faire honte) à l’endroit notamment de la Norvège, du Qatar ou du Japon. Or, si ce procédé est couramment pratiqué par les associations de lutte contre le sida, Act Up en tête, je n’ai pas souvenir d’un Président haranguer un large public en lançant « Harcelez les pays que je viens de citer, au téléphone, sur les réseaux sociaux ! ».

La réponse ne s’est d’ailleurs pas fait attendre : la Norvège a multiplié sa contribution par deux (202 millions de dollars), le Qatar, la sienne par cinq (50 millions). Cela reste bien en deçà des États-Unis, premier contributeur avec 4,68 milliards ou de la France (1,08 milliards, en hausse de 20%). Cela reste même inférieur aux promesses de Bill Gates (760 millions à lui tout seul !), mais ces efforts signent un engagement tangible, dont l’on ne peut que se réjouir.

Car ce fonds mondial constitue une véritable force de frappe contre ces trois fléaux que sont le sida, la tuberculose et le paludisme. Créé en 2002, il trouve son origine dans l’appel lancé à Abidjan par Jacques Chirac en 1997 pour offrir un accès aux médicaments dans les pays africains. Depuis son lancement, le Fonds mondial a par exemple permis à près de 19 millions de personnes de bénéficier de ces traitements. Mais, surtout, sa spécificité est qu’il ne dépend pas des États qui y contribuent et qu’aucune pression, politique ou religieuse notamment, ne peut s’y exercer. Une caractéristique essentielle, quand on connaît le poids des églises dans les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Amérique Latine en particulier.

Alors bien sûr, tout ne va pas se régler en quelques mois ni même en quelques années. Pour reprendre l’exemple de l’Afrique de l’Ouest, qui concentre à elle seule 20% des nouvelles contaminations dans le monde, la moitié des personnes séropositives ignorent leur statut sérologique. Même en France, la situation demeure inquiétante, malgré la baisse de 7% du nombre de contaminations constatée en 2018. D’abord parce que cette baisse survient après une hausse de 6,6% l’année précédente et, donc, qu’elle doit être confirmée dans l’avenir. Ensuite parce que la proportion de personnes qui découvrent qu’elles sont porteuses du virus à un stade très avancé (200 T4 ou moins) reste désespérément stable, aux alentours de 30%.

Pour autant, Emmanuel Macron peut se targuer d’entretenir la flamme et la réputation de la France comme d’un pays à la pointe de la lutte contre le sida. Le pays où l’on a isolé le virus du sida dès 1983, celui où a été lancé le Sidaction en 1994, celui où les trithérapies ont été le plus vite et le plus largement disponibles dès 1996, celui qui a instauré une taxe sur les billets d’avion en 2006. Il était essentiel de continuer ce combat. D’autant qu’en juillet 2017, l’absence d’Emmanuel Macron au Congrès mondial contre le sida à Paris avait été remarquée. Et critiquée. En octobre 2019, sa présence à Lyon a été tout aussi remarquée. Et saluée.