Cancer, Alzheimer, sida… Les mots pour le dire
« Vincent, tu aimes trop les mots ». Cette phrase, je l’ai entendue dans la bouche de Christine Castan, une des profs qui m’a formé au coaching à HEC. Prononcée avec une gentillesse amusée, une pointe de reproche également, elle m’avait marqué tant elle disait vrai.
De fait, j’aime les mots – et le métier de journaliste que j’ai exercé trente ans durant n’y est pas étranger. Je les aime car ils permettent de penser, de partager, de confronter. Je les aime quand ils disent l’amour, quand ils consolent, soulagent, apaisent. Mais les mots peuvent aussi faire mal. Blesser, humilier ou même détruire.
Je songe par exemple au « sidaïque » que Jean-Marie Le Pen voulait accoler aux séropositifs pour les stigmatiser. A « tumeur », ce terme qu’utilisent certains cancérologues et qui résonne dans la tête des malades comme un « tu meurs » pessimiste et bien maladroit. Je songe aussi à cet hôpital de l’Ouest de la France qui avait eu l’idée de créer un « service d’accueil et de tri des urgences » – sans réaliser ce que cet acronyme avait de morbide : « SATU », ça tue. Véridique.
Oui, j’aime les mots et c’est pour cette raison que je salue ici l’initiative de la fondation Korian, le leader européen des maisons de retraite et des EHPAD. Celle-ci a interrogé 1000 Français sur leur perception de 185 termes tels que « dépendants », « assistés » et autres « invalides ». Conclusion de l’étude : les mots étant « le reflet de nos représentations sociales, culturelles, psychologiques » comme le note le sociologue Serge Guérin, ils disent bien des choses sur le regard que nous portons sur nos « vieux » – j’emploie le mot à dessein. Or, sans y prendre garde, nous avons recours à tout un tas de formulations négatives quand on parle des malades en général et des personnes âgées en particulier.
Alors que dire, quelles expressions utiliser ? Il ne s’agit pas bien entendu, de tomber dans l’excès inverse en affadissant le réel. Je ne goûte guère les périphrases ampoulées qui, par fausse pudeur, remplacent noir par « personne de couleur » ou balayeur par « technicien de surface ». Car les mots ont un sens, un aveugle n’est pas un « mal voyant », pas plus qu’un paralytique n’est « une personne à mobilité réduite ».
Pour autant, faut-il vraiment parler de 4ème âge quand le mot « ainés » exprime une réalité plus humaine ? Dire « grabataire » quand un malade est « confiné au lit », « déambulant » quand il marche beaucoup, ou « dément » quand il souffre de « troubles cognitifs » ? Après tout, la bienveillance se manifeste autant par les mots que par les gestes. Tout le monde peut la pratiquer, il suffit d’un peu d’attention. Chiche ?…