Harcèlement, pression, abus : le sexisme à l’hôpital

Ils en parlent peu – sinon pour en sous-estimer la fréquence. Elles l’évoquent avec à peine – sinon pour en minimiser la portée. Et pourtant, la chose existe et elle demeure encore un réel tabou à l’hôpital. « Ils », « elles », ce sont les 30 000 internes qui finissent leurs études et seront les médecins de demain ; « la chose », c’est l’ensemble des attitudes, des actes et des paroles sexistes qu’à l’hôpital les hommes ont (parfois) vis-à-vis des femmes.

C’est pourquoi je salue l’initiative de l’ISNI (InterSyndicat national des internes) qui a lancé une enquête sur la question et qui en dévoilera les résultats le 18 novembre prochain. Près de 3 000 internes ont d’ores et déjà répondu, et si le président de l’ISNI, Olivier Le Pennetier, n’en dira pas plus avant cette date, il a néanmoins consenti à répondre à quelques-unes de mes questions.

Le côté carabin, l’ambiance « salle de garde » avec ses fresques cochonnes, vulgaires ou misogynes (chacun choisira le terme qui convient) ? « Cela appartient au folklore propre à notre profession. Ces fresques ont beau être outrancières, elles comportent aussi un côté libératoire . Je ne vais pas tout justifier, mais cela ressort largement du passé. Les désapprouver oui. De là à les détruire systématiquement… Plutôt que de tomber dans une censure moralisatrice,  regardons au cas par cas. Toutes n’ont pas une connotation sexuelle, et certaines d’entre elles sont réalisées par des artistes célèbres – Charb par exemple. »

Le sexisme au quotidien entre internes ? « C’était sans doute encore pire avant, lorsque les hommes représentaient 70% des étudiants et les femmes 30% (aujourd’hui, le pourcentage est exactement inverse.). Mais oui ça existe encore. Pour autant, il tend à disparaître au fil des générations ; et quand il demeure, il se veut bienveillant –  même s’il reste discriminant. Du genre : « Tu dois être fatiguée, tu veux que je te file un coup de main ? »

Internes, on passe des heures voire des nuits ensemble, en milieu clos, on voit tout le temps des corps dénudés ; tout cela peut favoriser la promiscuité. Longtemps, « on » (les hommes surtout !) a invoqué la dureté des études, leur durée, la pénibilité des horaires, la confrontation régulière avec la mort pour justifier l’érotisation des rapports entre hommes et femmes. Comme si le sexe était une sorte de soupape de décompression qui permettrait de tenir. Mais ces arguments ne sont plus recevables aujourd’hui : la société a évolué, on ne peut plus légitimer ainsi des comportements machistes. »

Le sexisme de la hiérarchie ? Le chantage, la pression, l’intimidation exercées sur les internes femmes ? « Il y a des sous-entendus qui sont gênants, voire franchement graveleux, même s’ils se veulent humoristiques et sans conséquence. Mais cela va parfois plus loin encore. Bien sûr qu’il existe aujourd’hui encore des chefs de service qui vont exiger, ou « juste » suggérer une faveur sexuelle contre une promotion. Certains d’entre eux tentent beaucoup en se servant de leur position et de leur pouvoir ; dans la réalité, ils concrétisent peu – et de moins en moins. Mais quelques-uns y parviennent quand même. Et comme ils ne s’en vantent pas, y compris en cas de refus, il est impossible de savoir en quoi la réponse de l’interne (positive ou négative) à cette « proposition » joue sur leurs décisions finales.

Ce genre de pratiques est rarement, voire jamais dénoncé à l’hôpital. Notamment parce que les victimes ont un sentiment mêlé de honte et de peur. Du coup, elles s’auto-culpabilisent et se taisent. Soyons honnêtes : le tabou reste fort aussi parce que ces femmes ne peuvent guère compter sur le soutien des autres internes, en particulier de leurs collègues masculins. Ce n’est pas glorieux, mais il faut bien reconnaître que durant toutes ses études, l’interne est un être très égoïste… »