Médicaments: le « juste prix » ou le « prix juste » ?

« Quel prix un médicament vaut-il vraiment ? ». Tel était le thème de la table ronde organisée le weekend dernier au colloque CHAM,de  le « Davos « de la santé en France que j’évoquais dans un post précédent.

Avec un médecin, un industriel, un représentant de patients et deux hauts responsables, cette table ronde rassemblait les acteurs essentiels de cette question qui agite, à juste titre, le monde de la santé depuis quelques mois. Les débats furent d’ailleurs riches, policés sur la forme et… opposés sur le fond.

Pour en rendre compte, j’ai fait le choix de citer quelques extraits des différentes interventions, solution la plus parlante à mes yeux pour illustrer la multiplicité des regards sur cette question. Voici donc un résumé des propos tenus, que je présente par ordre alphabétique.

Eric Baseilhac (directeur des Affaires économiques du LEEM) :

« Aujourd’hui, avec 10 euros on guérit d’un ulcère, et d’une pneumonie pour 20 euros. La vraie question est donc : comment les industriels élaborent-ils le prix de l’innovation thérapeutique, au vu du parcours long, risqué et coûteux de la R&D ?»

« L’innovation a un effet structurant sur l’organisation des soins et c’est ça qui fait peur. En Allemagne, les anti TNF Alpha ont permis de transférer 90% des patients en ambulatoire. En France, on en est à peine à 50%. Pourquoi ? »

« La valeur thérapeutique ajoutée : voilà l’élément cardinal de la fixation d’un prix. L’accès ne peut être la valeur d’ajustement du prix d’un médicament ».

 

Agnès Buzyn (Présidente de la Haute Autorité de Santé)

« Des problèmes éthiques nouveaux apparaissent : quid du coût d’une bithérapie (150 000 dollars par an) pour gagner 4 à 5 mois de médiane de survie ? »

« Les industriels ont tendance à développer des médicaments de niche mais très efficaces. Le problème survient quand le nombre de patients explose. L’avenir est donc à un remboursement différencié selon les indications et l’efficience en fonction des pathologies ».

« Notre société est ambiguë. Elle exige l’accès à l’innovation pour tous, mais se scandalise au premier cas d’effet secondaire inattendu. »

 

Laurent Degos (professeur, membre de l’Académie de médecine)

« Le tournant historique s’est produit en 2005 avec le Vioxx de Merck. Les industriels ont eu peur des class actions et ont développé des médicaments de niche – mais avec le même objectif financier : gagner 1 milliard de dollars. D’où une règle de 3 : pour 3000 personnes, c’est 300 000 euros par patient ; pour 30 0000 personnes, c’est 30 000 euros par patient ; pour 300 000 patients, c’est 3 000 euros par patient. Mais on arrive toujours au milliard de dollars ! »

« Les approches diffèrent selon les pays. En France, on privilégie l’égalité, avec le bon usage du médicament (accord prix/volume) comme levier. Au Royaume-Uni c’est l’utilité, avec le remboursement comme levier. En Allemagne c’est la responsabilité, avec le prix comme levier. »

 

Dominique Polton (Conseillère auprès du DG de la CNAMTS) :

« Le prix est le résultat d’un rapport de forces entre acheteurs et vendeurs. Si un consommateur est prêt à payer 700 euros pour un téléphone portable, pourquoi Appel le vendrait-il moins cher ? »

« Il faut une évaluation exigeante, dans la « vraie vie », de ces nouveaux traitements. Il faut aussi des prix « raisonnables », pour un usage « raisonnable ». Or, on constate de nombreux mésusages, dans le diabète par exemple. »

« L’innovation est sacralisée en France dès qu’il s’agit de médicament. Mais pour la première fois je vois des associations de lutte contre le cancer prises à partie par d’autres pathologies ».

 

Christian Saout (Secrétaire général du Collectif interassociatif sur la santé) :

« On a déjà commencé à limiter l’accès à certains traitements. On reste à l’équilibre, mais au prix de l’équité et de batailles pathologies contre pathologies, ce qui n’est bon pour personne ».

« On nous dit « On ne pourra pas tout payer ». Mais alors, on va payer quoi ? Et à qui ? »

« On aurait pu décider de traiter tout le monde pour l’hépatite C et éradiquer la maladie en France. Pourquoi n’a-t-on pas voulu ? On rembourse la glycémie en continu en Slovénie, mais pas en France. Cela ne pose-t-il pas problème ? »