J’ai été conseiller ministériel … Épisode 2 !


Je ne vous ai pas tout dit dans mon post précédent (à lire ici) où je vous racontais mon expérience de conseiller ministériel. Et notamment pas les commentaires que nous a offerts avec sa générosité habituelle Anne Beinier, l’ancienne conseillère parlementaire d’Agnès Buzyn.
Anne, qui est depuis 2020 experte à la Commission européenne, a en effet accompagné pendant près de deux ans la ministre de la Santé. A ce titre, elle a participé à de nombreuses RIM (réunions interministérielles), dont celle que nous avons rejouée le week-end dernier qui a vraiment eu lieu et concernait une taxe sur les sodas trop sucrés.
Dans la réalité, nous a-t-elle expliqué, la taxe était minime, 8 centimes d’euros par litre, et le véritable enjeu était de pousser les industriels à baisser le taux de sucre dans leurs boissons. Orangina a accepté (moins 30%), tandis que Coca-Cola a tout simplement refusé de lrencontrer Anne Beinier. Le ministère de la Santé a donc eu, au moins en partie, gain de cause – même si, comme le reconnait lucidement Agnès Buzyn, « gouverner, c’est choisir entre une mauvaise et une très mauvaise solution. En pratique, la réponse la plus simple est de ne pas prendre de décision … C’est malheureusement plus payant politiquement. »
Mais surtout Anne Beinier, dont j’ai décrit le parcours dans un post précédent (à lire ici), nous a raconté le recrutement et le mode de fonctionnement des cabinets ministériels : « Un milieu masculin, très fermé, dans l’entre-soi, où il vaut mieux avoir les codes pour être respecté ». Autant dire qu’Anne, avec son diplôme de fac (et pas Sciences Po et l’ENA) et ses études sur l’ile de la Réunion (et pas à Paris) a dû batailler ferme pour s’imposer … Elle y est parvenue, notamment dans une RIM consacrée à la situation à Mayotte avec « plus de 50 participants, 90% d’hommes, et seules quatre personnes, dont moi, qui connaissaient ce territoire. Au moins, je savais de quoi je parlais et, du coup, on m’a écoutée … » Comme quoi, son parcours hors du sérail et sa personnalité atypique ont pu, parfois, être un atout supplémentaire. Pendant cet atelier participatif, Agnès Buzyn a d’ailleurs rendu hommage à « cette conseillère précieuse et formidable ».
Que retenir d’autre de ce week-end à Nancy ? Des prises de parole politiques moins convenues que d’ordinaire – Aurore Bergé, Najat Vallaud-Belkacem, Brune Poirson. Des interventions éclairantes de personnalités civiles comme Gérald Bronner, Etienne Klein ou encore Patrice Cohen. Mais aussi une rencontre inédite entre Roselyne Bachelot et Agnès Buzyn avec comme thème « La gestion de crise dans un ministère de la Santé ».
Durant plus d’une heure et demie, elles se sont livrées à un numéro de duettistes qui a fait le bonheur de l’auditoire. Tour à tour complices, pédagogues, drôles, sérieuses, elles ont mêlé réflexions de fond et anecdotes personnelles.
A la question « Faut-il avoir peur de la peur ? » (Celle des citoyens devant un risque épidémique tel que le H1N1 ou le Covid), pour Roselyne Bachelot il faut avant tout « dire la vérité. Y compris qu’on ne sait pas, en tout cas pas tout. Il ne s’agit pas de clamer son ignorance, mais d’expliquer tous les scénarios possibles ». Agnès Buzyn confirme et précise qu’il faut « s’en tenir aux faits. Ne jamais commenter. C’est une ligne de crête, tant la moindre parole est ensuite interprétée, critiquée, minimisée ». Et l’ex-ministre de rappeler que lors de sa conférence de presse du 21 janvier 2020, « la première sur le Covid dans le monde », insiste-t-elle, elle avait parlé d’un « risque faible mais {qui} ne peut être exclu ». Les chaines de télé d’infos continues ont immédiatement retenu la première partie de la phrase et pas la seconde. La presse écrite a suivi et tout le monde a oublié ce « ne peut être exclu ».
D’où ces trois « règles d’or » à respecter lors d’une crise sanitaire selon elle. La première : rendre publiques les informations dont on dispose au fur et à mesure, en rappelant systématiquement que la situation va évoluer. La deuxième : avoir un et un seul émetteur d’informations du côté des pouvoirs publics – ne pas laisser la parole, comme ce fut le cas durant le Covid, au ministère de l’Intérieur, aux Préfets, au Comité d’Éthique ou à un Conseil scientifique inventé pour l’occasion. La troisième : « Aussi bien préparés qu’on soit, quand une crise survient tous les plans établis sont, par essence, insuffisants. Il faut s’adapter aux circonstances. Et faire preuve de réactivité et de créativité ».
Ces conseils, même suivis à la lettre, suffiront-ils à mieux gérer les prochaines crises ? Pas sûr, à en croire Roselyne Bachelot qui craint « une catastrophe à venir » si les journalistes cèdent à la tentation du scandale permanent comme pendant le H1N1 ou le Covid : « Entre la surmédiatisation des uns, l’hyperréactivité des autres, et l’attirance irresponsable pour les fake news de certains, le risque est réel ».
Les fake news justement : ce fut le thème d’un autre atelier participatif à partir d’« un cas d’école », pour reprendre l’expression d’Isabelle Jourdan, directrice de la communication de l’AP-HP et ancienne conseillère Médias d’Agnès Buzyn.
Le cas présenté est le suivant : en 2024, un Américain déclaré mort se réveille sur la table d’opération alors que les médecins s’apprêtent à lui prélever ses organes. Dans notre pays, la nouvelle fait les Une des médias sur le thème « Et si cela arrivait en France ? » – étant entendu que c’est rigoureusement impossible, notamment parce que chez nous le décès est déclaré après une mort cérébrale prolongée, excluant de fait toute forme de « réveil » quel qu’il soit. Cette réalité ne suffit à empêcher une chute brutale des dons d’organes au cours des mois suivants.
Les participants à cet atelier, tous volontaires, doivent répondre à trois questions précises : quelles infos souhaiterais-je entendre sur ce fait divers ? A quels acteurs prêterai-je l’oreille la plus attentive ? Quels seraient les bons canaux d’informations ? Répartis en quatre tables de huit personnes (dans la mienne, un médecin-réanimateur et trois étudiants de Sciences Po Nancy), nous avons une trentaine de minutes pour travailler.
En pratique, nos recommandations se rejoignent le plus souvent. A savoir, et dans l’ordre : des infos contenant explication précise de ce qui s’est passé aux Etats-Unis et en quoi leur législation diffère de la nôtre ; des acteurs tels que des juristes spécialisés, des sociétés savantes ou des associations de patients ayant bénéficié du don d’organes ; et enfin des canaux de diffusion allant d’une conférence de presse au journal de 20 heures en passant par une heure de cours à l’école.
Le plus intéressant reste le retour d’Isabelle Jourdan à l’issue de nos résumés. Pour cette communicante professionnelle, la question essentielle pour le grand public se résume à : « Est-ce que ça pourrait m’arriver à moi ou à ma famille ? ». La réponse doit donc être compassionnelle et émotionnelle avant de rentrer dans le rationnel. Ensuite, « la capacité pédagogique des intervenants est fondamentale », précise-t-elle et « chacun a son rôle à jouer » : à l’AFP, le relai des infos validées. Au journaliste Santé, le choix de trouver les bons interlocuteurs, aux sites Internet généralistes, une réactualisation permanente des infos et, enfin, aux réseaux sociaux, la fonction de « caisse de résonance » pour le grand public. Et Isabelle Jourdan de citer l’exemple de l’extension de la vaccination infantile décidée par Agnès Buzyn dès son arrivée au gouvernement en 2017 et pour laquelle son ministère a fait appel aux « mamans influenceuses ».
Voilà, à travers ces quelques exemples, toute la richesse de ce forum organisé par Évidences à Nancy.
Si vous voulez participer au prochain événement, rendez-vous le 30 juin à l’Institut Curie (le lien est ici) pour un débat sur l’innovation en Europe !