Lettre à Agnès Buzyn

Chère Agnès,

Depuis votre arrivée au ministère de la Santé, je me suis adressé à vous à plusieurs reprises. Dix fois précisément sur ce blog. La première, en juillet 2017, pour me féliciter de votre décision sur la vaccination obligatoire. La dernière, en novembre 2019, pour reprendre vos propos sur ces « médecins mercenaires » qui font payer si chèrement leurs heures de garde à l’hôpital. En remontant l’historique de mon blog, je réalise d’ailleurs à quel point les thématiques que vous aurez abordées en deux ans et demi sont vastes : homéopathie, organisation des soins, réforme de l’hôpital, reste à charge Zéro, PMA et j’en passe. Et à quel point elles couvrent tous les champs possibles : médical, social, économique, politique et éthique

Sans doute ai-je été de temps à autre très (trop ?) sévère à votre égard. De fait, j’ai pu regretter ici ou là une vision parfois trop « hospitalo-centrée » de notre système de santé ; une approche trop médico-médicale des autres professionnels du soin (pharmaciens, infirmiers etc.) ; des propos parfois maladroits sur ces soignants qui font grève et provoquent « une surcharge de travail pour les autres ».

Mais cette sévérité est à la mesure de l’estime que je vous porte. Laissez-moi donc vous dire et vous redire en quelques lignes à quel point vous incarnez, de belle façon, la haute idée que je me fais d’un ministère comme le vôtre. Autant vous l’avouer d’emblée : vous allez me manquer. Et l’émotion tout juste contenue que vous avez manifestée aujourd’hui durant la passation de pouvoir avec Olivier Véran, les quelques larmes jailli malgré vous et la profonde sincérité de vos propos me confirment dans l’idée que vous êtes « aussi belle de l’intérieur que de l’extérieur », comme je l’avais écrit après vous avoir vue à CHAM en 2018.

Il est évidemment un peu tôt pour faire le bilan de votre action au gouvernement – d’autant qu’une bonne partie des réformes lancées ne se traduiront pas immédiatement de façon concrète. Mais une chose est sûre : en moins de trois ans, vous aurez marqué de votre empreinte le ministère de la Santé. Au-delà de toute forme de comparaison, je ne vois guère que Simone Veil à avoir eu une telle aura auprès du grand public.

Simone Veil-Agnès Buzyn : ce rapprochement qui me vient n’est pas dénué de sens dans la sphère privée (je fais ici référence à son fils, Pierre-Antoine, avec qui vous avez eu trois enfants) mais il l’est plus encore dans la sphère publique. De fait, les points communs entre vous deux sont nombreux : un parcours issu de la société civile, un portefeuille ministériel très large, une vision très politique de la Santé, un vrai sens de l’intérêt général. Jusqu’à cette douceur apparente qui cache en réalité une détermination sans faille.

De la détermination, vous en avez montré la première fois que je vous ai vue. C’était en juillet 2016. A cette époque, vous n’étiez encore « que » présidente de la HAS (Haute Autorité de Santé) et personne ne vous imaginait un jour ministre – et encore moins candidate à la Mairie de Paris. Vous aviez alors eu des mots très durs contre les labos pharmaceutiques et les prix excessifs de leurs nouveaux traitements contre le cancer. Comment auriez-vous pu concevoir que cinq ans plus tard, ces prix s’envoleraient au-delà du raisonnable, jusqu’à deux millions d’euros par patient ? N’empêche : déjà, vous envisagiez de nouveaux modes de financement  de ces innovations thérapeutiques, et nul doute que vous les auriez mis en place si vous étiez restée plus longtemps ministre de la Santé.

Je disais un peu plus haut que le temps du bilan n’était pas encore venu. Il est pourtant trois domaines, au moins, où il y aura un « avant » et un « après » Agnès Buzyn : le RAC zéro, la vaccination et le déremboursement de l’homéopathie.

Reprenons point par point. Le « RAC Zéro » (reste à charge Zéro) pour les dents, les lunettes et les prothèses auditives tout d’abord, c’était une des promesses du candidat Macron que vous avez mise en œuvre avec succès, même s’il y aurait beaucoup à dire sur les modalités pratiques et la façon dont certaines mutuelles ont trahi ce bel engagement.

Il y a aussI le courage politique que vous avez montré dès votre arrivée au ministère en soldant, une fois pour toutes, le cadeau empoisonné que vous avait laissé votre prédécesseuse, Marisol Touraine. Je veux bien entendu parler de la vaccination obligatoire des tout-petits étendue à 11 vaccins. Avec ténacité, avec volontarisme, mais aussi avec pédagogie, vous avez su sortir « par le haut » de cette polémique stérile. Plutôt que de condamner judiciairement les parents, au risque d’en faire des martyrs de la cause des « antivax », vous avez fait le choix de les rendre responsables de leurs décisions : ils refusent de vacciner leurs enfants ? Alors ces derniers ne pourront aller à l’école publique. Non pas pour punir les uns ou les autres, mais pour protéger ceux qui y passent leur journée, enseignants et élèves.

Il y a enfin, et peut-être même surtout, chez vous chère Agnès Buzyn, quelque chose d’admirable, c’est votre sens profond de la notion de santé publique. Un exemple parmi d’autres : le déremboursement de l’homéopathie, obtenu de haute lutte malgré le lobbying intense de Boiron et de quelques médecins – et malgré la pression de certains responsables politiques, y compris au sein même de votre gouvernement. Votre mérite n’en est que plus grand. Là encore, plutôt que de stigmatiser, plutôt que d’opposer les pros et les anti, vous avez préférez laisser du temps au temps et trouver une voie médiane entre interdiction et statut quo.

L’autre exemple de combat pour la santé publique est, je le sais, plus douloureux pour vous – douloureux, parce que malheureusement perdu d’avance. Il s’agit de votre combat contre les méfaits de l’alcoolisme. Un combat difficile, acharné, en butte à l’opposition résolue là aussi de certains collègues du gouvernement – et même à celle du Président de la République. N’empêche. Au risque de vous faire mal voir, vous l’avez dit et répété sur tous les tons : le vin est un alcool comme les autres.

C’est ainsi : vous ne renoncez jamais à vos convictions. Quitte à en payer le prix fort. Quitte à passer des heures, des nuits entières à tenter de convaincre, comme vous l’avez fait au Parlement durant le vote des lois de bioéthique. Voilà pourquoi je vous trouve formidable. Voilà pourquoi je voterai pour vous aux municipales. En me disant que, peut-être, dans quelques semaines je serai un Parisien heureux et fier d’avoir un(e) maire telle que vous.

Précision importante : j »ai rédigé ce post le lendemain de la démission d’Agnès Buzyn. Les événements survenus depuis lors, en particulier son interview au journal Le Monde, altèrent malheureusement l’enthousiasme dont j’ai pu faire preuve.