#MeToo santé : quelques exemples vécus

Ce n’est plus une vague, c’est un tsunami ! Comme je l’explique dans mon post précédent et consultable ici, epuis les accusations par le Pr Karine Lacombe du très médiatique Patrick Pelloux, le mouvement #MeToohopital ne cesse d’enfler. Sur X (ex Twitter), ce sont des centaines, des milliers de témoignages qui s’accumulent. Tous racontent peu ou prou la même chose. Et des choses pas jolies – j’y reviendrai.

Mais auparavant, j’ai demandé à deux personnes leur sentiment sur le sujet. La première, Isabelle Riom, a été en 2018 vice-présidente de l’ISNI (Intersyndicale nationale des internes), le syndicat qui est justement à l’origine de la première enquête auprès de 3 000 futur(e)s médecins. Quatre ans plus tard, elle continue à exercer à l’hôpital public – plus précisément à l’AP-HP (Assistance publique des hôpitaux de Paris). La seconde est Michel Cymes, « le médecin préféré des Français » connu pour ses émissions télé mais qui assurait également – on le sait moins – jusqu’à l’année dernière des consultation en ORL à l’hôpital George Pompidou à Paris. Un homme, une femme. Une jeune professionnelle, un jeune retraité. Deux regards différents, mais qui se rejoignent sur bien des points. 

Isabelle Riom 

« Tout(e) étudiant(e) en a été témoin : aujourd’hui encore, en 2024, les propos sexistes sous l’excuse de l’humour carabin sont tellement banalisés qu’il semble normal de ne pas réagir. Le phénomène n’est pas nouveau, loin de là. En tant que responsable de l’ISNI j’ai rencontré à plusieurs reprises Agnès Buzyn qui était alors ministre. Elle m‘a raconté qu’elle aussi a été victime de propos sexistes. Pas seulement comme interne. Même chef de clinique, même chef de service, même à l’apogée de sa carrière de médecin hospitalier elle a entendu des phrases dégradantes, indignes de ceux qui les prononçaient.

Ce qui est nouveau en revanche, c’est que des femmes en situation de pouvoir comme elle, comme Karine Lacombe prennent la parole. Ainsi, elles libèrent la parole d’autres femmes plus jeunes, plus fragiles. C’est la raison pour laquelle j’ai bon espoir que ce mouvement prenne de l’ampleur et aussi, et peut-être surtout, qu’il fasse bouger l’institution, qu’il oblige les autorités compétentes à sévir quand les faits sont avérés et dénoncés. Et même, rêvons un peu, qu’il permette une prise de conscience chez certains médecins masculins !

Un exemple personnel ? Cela se passe durant mon internat. Au moment d’entrer dans un bloc opératoire le chirurgien me suggère d’enlever mon T-shirt avant de m’habiller en tenue stérile au motif que « j’ai un beau décolleté. » En sortant, je raconte l’histoire à un de ses collègues. Croyant sans doute manifester sa solidarité avec moi il me répond : « C’est normal, c’est son humour de merde. Mais tu comprends, il est brillant … »

Michel Cymes

« En préambule je précise que pour gagner ma vie, j’ai travaillé à l’hôpital comme infirmier et comme aide-soignant. J’ai donc vu les deux côtés de la barrière. 

Je suis conscient que ce qui était admis au tout début des années 80 – l’esprit carabin, l’absence de tabou, les plaisanteries pas très fines – ne l’est plus aujourd’hui. Il ne s’agit pas de le regretter, ou de le dénoncer, il s’agit juste d’admettre cette réalité : les temps ont changé. La destruction des fresques dans les salles de garde en est une parfaite illustration.

Pour autant, il y a encore à l’hôpital des chefs de services, des patrons qui sont restés au 20ème siècle. Ils se comportent comme des mandarins, c’est-à-dire de façon dictatoriale. Tous les internes de leur service en souffrent. Les femmes peut-être plus que les hommes mais personne n’échappe à leur mauvaise humeur, à leur ton cassant, à leur attitude méprisante. 

Je ne sais pas si c’est un biais de recrutement ou un phénomène de contagion par le haut, en tout cas le fait est là : souvent, quand le chef de service est odieux, les médecins de son service ne se comportent pas bien. Et, à l’inverse, s’il est empathique, humain, la quasi-totalité de l’équipe se montre elle aussi empathique et humaine.

A l’époque où j’étais interne, 90% des étudiants étaient des hommes ; 90% des infirmiers étaient des infirmières. Qu’on le veuille ou non, cela induit une ambiance particulière. A cette époque aussi, il y avait sans doute plus de légèreté dans les rapports humains. Le contexte s’y prêtait : la pilule était à disposition, le sida n’était pas encore là. Cela n’explique pas tout bien entendu, mais là encore il faut garder à l’esprit que le contexte n’était pas le même. » 

Quelques citations 

Certaines sont extraites des deux enquêtes que je mentionne dans mon post précédent et que vous pouvez lire ici. D’autres ont été trouvées sur les réseaux sociaux. Toutes sont ce qu’on appelle en langage journalistique « du vécu ». 

« Avant-dernier jour de stage. Une amie obtient la note de 9,5 sur 10. Le lendemain, elle demande à son chef ce qui lui manquait pour avoir 10. Réponse : s’habiller sexy »

« Une femme c’est faible, ça ne mange que de la salade »

« Mon collègue passe. Je lui demande de l’aide pour nettoyer mon bureau après un patient contagieux. Tu n’es pas assez nue pour que je t’aide. Et il se barre ».

« Humiliation durant une visite professorale au sujet de ma vie sexuelle et plus précisément je cite, de mon manque d’expérience sexuelle »

« Je suis externe au blog gynéco. Le patron : Corinne, tirez ces écarteurs comme vous aimez être tirée … ou vous préférez que je vous apprenne ? »

« C’est mon premier poste aux urgences. J’arrive en staff pour me présenter. Remarque du chef de service On s’en fout de ton pedigree ouvre ta blouse, on va juger sur pièce »

« Mon cadre de santé saisit mes cheveux en queue de cheval, me tire deux fois la tête en arrière en disant, rigolard, C’est ton mari qui doit se régaler ! » 

« Je suis externe au bloc d’orthopédie. Le chirurgien qui opère : Dis donc Axelle, tu suces bien toi ?  Ah non moi je suce pas je mords. Silence dans le bloc, regard de tueur, mais petite victoire d’externe … »