Le tweet qui valait 16 milliards de dollars !

Ainsi donc, un simple tweet d’un compte parodique peut faire perdre en quelques heures 16 milliards de dollars à un laboratoire pharmaceutique. … Je ne sais s’il faut s’en réjouir ou s’en affliger, mais l’histoire est exemplaire à plus d’un titre.

Rappel des faits : après le rachat de Twitter pour 44 milliards de dollars, Elon Musk prévient la semaine dernière qu’il faudra désormais débourser 8 dollars pour avoir un compte officiel certifié. Le message passe mal auprès de la communauté des internautes et certains petits malins décident aussitôt de dépenser un peu d’argent pour créer de faux comptes « officiels ». 

Trois exemples parmi d’autres : Lockheed Martini (à la place de « Martin »), principal marchand d’armes américain, qui publie « Nous arrêtons nos ventes d’armes à l’Arabie Saoudite ». Un faux compte de la British Petroleum qui proclame « Ce n’est pas parce qu’on tue la planète qu’elle ne nous manque pas ». Et le meilleur : un faux compte Pepsi qui affirme « Coke is better » !

L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais voilà que le géant pharmaceutique Eli Lilly se fait doubler par un faux compte (EliLillyandCo en lieu et place de LillyPad) Celui-ci fait une annonce fracassante : « Nous sommes heureux de vous annoncer que l’insuline est désormais gratuite ».

Quand on sait que la vente d’insuline aux Etats-Unis a rapporté à ce labo plus de 850 millions de dollars pour le seul 3ème trimestre 2022, on mesure l’importance de la chose – au point que ce tweet obtient rapidement 11 000 « like », contraignant le labo à publier un tweet d’excuses pour cette fausse bonne nouvelle, et à confirmer au passage que le prix de vente d’un flacon d’Humalog est de 400 dollars.

Trop tard : le mal est fait. Le jour même, le cours en bourse d’Eli Lilly dévisse brutalement, passant de 369,6 $ à 344,5 $ avant de se stabiliser en fin de séance à 352,3 $. Cela n’a l’air de rien mais au final, ce sont 16 milliards de dollars envolés en quelques heures. Même effet désastreux pour deux autres labos commercialisant l’insuline : Norvo Nordisk et Sanofi perdent respectivement 3,2% et 4% de leur valeur boursière.

L’histoire est exemplaire, disais-je, car l’insuline est une hormone essentielle, vitale pour les diabétiques qui doivent équilibrer leur taux de glucose dans le sang. Or, ce produit coûte cher, très cher aux sept millions d’Américains insulinodépendants. Jusqu’à 1 000 dollars par mois – alors que, je le rappelle, cette hormone a été découverte en 1921 par des chercheurs canadiens qui ont eu l’élégance morale de vendre le brevet d’exploitation pour un dollar seulement.

Sauf que les labos pharmaceutiques, eux, se sont largement nourri sur la bête (si j’ose cette métaphore). Selon une étude publiée par l’Union of concerned scientists, le coût du médicament Outre-Atlantique a augmenté de 1000% entre 1996 et 2017. Résultat : dans ce pays où les prix des médicaments sont libres – au nom du sacro-saint libéralisme économique – un patient sur six a été obligé de diminuer ses doses pour des raisons financières. Alors même qu’un diabète mal équilibré se traduit au fil des ans par des complications sévères pouvant aller jusqu’à l’amputation d’un pied. 

L’industrie pharmaceutique se serait bien passée, on s’en doute, d’une telle publicité. Elle a néanmoins le mérite de poser une question. Aussi dérangeante que nécessaire : les bénéfices des actionnaires – car c’est bien de cela qu’il s’agit – passent-ils devant la santé publique et le bien-être des citoyens ?