Vieux, malades, obèses… Les « punis » du déconfinement
Je me doutais que l’annonce d’Emmanuel Macron lundi dernier sur les modalités de sortie du confinement de l’épidémie de Covid 19 allait provoquer des réactions… Mais je n’imaginais pas que les détails apportés mercredi par Jean-François Delfraissy allaient à ce point déchainer les passions.
Pour mémoire, le Président avait déclaré ceci – et je le mentionne car tous les mots sont importants : « Nous demanderons aux personnes les plus vulnérables, aux personnes âgées, en situation de handicap sévère, aux personnes atteintes de maladies chroniques, de rester, même après le 11 mai, confinées, tout au moins dans un premier temps ».
Première observation, qui me semble fondamentale : Emmanuel Macron s’adresse aux « plus vulnérables ». Vulnérables en quoi, vulnérables à quoi ? Vulnérables au virus du Covid 19. En clair, il ne s’agit pas de sanctionner ces personnes pour ce qu’elles sont, mais bien de les protéger de quelque chose. Ce n’est pas une punition, c’est une mesure de santé publique. Manifestement, le message n’est pas passé et c’est regrettable.
En réalité, la polémique est née deux jours plus tard, lorsque le président du Conseil scientifique, interrogé au Sénat, a précisé qui seraient les personnes concernées. Ce seront « les plus de 65 ou 70 ans, les patients atteints d’affection de longue durée (ALD) mais aussi obèses car c’est un facteur de gravité », a expliqué Jean-François Delfraissy. Soit, environ, « 18 millions de personnes à risque d’être contaminées ».
Pourquoi ces critères ? Le premier correspond à une réalité épidémiologique, à large échelle : plus on est âgé, plus le taux de mortalité augmente en cas d’infection par le Covid 19. Le 2ème est médical, à échelle individuelle : plus on souffre de polypathologies, plus le risque est important que le Covid aggrave ces pathologies. Le 3ème est clinique, « observationnel » en situation : les réanimateurs ont constaté une sur-représentation significative des obèses dans leur service, sans avoir d’ailleurs d’explication unique et définitive à ce phénomène.
Reste que la formulation de M. Delfraissy est maladroite : d’un point de vue médical, tous les Français sont « à risque d’être contaminés » – même si certains le sont particulièrement. Mais surtout, si l’on fait abstraction des plus jeunes (disons les moins de 9 ans par exemple), 18 millions de personnes, cela représente un Français sur trois. A ce niveau-là, on est plus proche de la protection collective que de la stigmatisation individuelle.
Curieusement, les seuls qui se sont élevés – et bruyamment ! – contre cette mesure sont les plus de 70 ans. Pas une association de malades, pas une association d’obèses ne se sont exprimées. En revanche, que n’a-t-on entendu du côté de nos ainés…
Ainsi Marie de Hennezel, psychologue clinicienne, parle d’une mesure « profondément perverse, inique, non éthique » dans une tribune publiée aujourd’hui dans Le Figaro. Hier, Alain Minc, « sans vouloir faire d’amalgame » (sic), en appelait à la mémoire de ses parents résistants et déportés par les Nazis… De telles outrances interrogent : comment des « penseurs » peuvent-ils à ce point déraper ? Effet d’un confinement prolongé ? Sentiment insupportable d’être écarté du reste de la société ?
Ces réactions sont d’autant plus disproportionnées qu’il n’a jamais été question d’interdire à ces 18 millions de Français de sortir de chez eux. Et ce, pour une raison simple : qu’il s’agisse des plus de 70 ans, des malades chroniques ou des obèses, la chose est juridiquement, techniquement, matériellement impossible.
Prenons les plus de 70 ans. La liberté d’aller et venir est l’une des libertés publiques fondamentales dans notre pays. Il est possible de la limiter, mais uniquement pour une durée définie et dans un cadre précis (un couvre-feu national par exemple). En l’espèce, le critère « plus ou moins de 70 ans » ne repose sur aucune justification scientifique ou d’ordre public. Nul doute que le Conseil constitutionnel, s’il en était saisi, retoquerait une telle mesure.
Prenons les malades chroniques. Dans la plupart des cas, ces pathologies sont invisibles. Or, je le rappelle, le secret médical s’impose à tous, y compris aux forces de l’ordre. Comment donc un policier pourrait-il exiger un certificat de bonne santé ?
Prenons les obèses. L’obésité se définit par un indice appelé IMC (indice de masse corporelle) qui se calcule en divisant le poids (en kilos) par la taille( en centimètres) au carré. Au-delà d’un IMC à 30, un individu est considéré comme obèse. Faudra-t-il qu’un policier se munisse d’un mètre et d’une calculette pour contrôler les gens dans la rue ?
Dès lors, il est probable que les pouvoirs publics joueront la recommandation plutôt que l’interdiction. L’incitation plutôt que la coercition. La pédagogie plutôt que la contrainte. Ce serait d’ailleurs souhaitable : cela éviterait la stigmatisation (vis-à-vis des obèses), la double peine (pour les malades chroniques) et le sentiment d’injustice (chez les plus de 70 ans).
Mais surtout, ce serait parier sur la responsabilité individuelle et le bénéfice collectif. Pari audacieux, pari courageux. Dans un post que j’avais écrit au début de l’épidémie, je constatais avec regret que les Français se comportent comme des enfants. Les choses ont peut-être changé depuis. A défaut d’en être convaincu, je le souhaite pour le bien de tous.