Masques : mettre ou ne pas mettre

Cela fait un moment que je m’interroge sur l’intérêt d’imposer – ou pas – des masques à l’ensemble de la population pour lutter contre le Covid 19. A cette question complexe, je m’aperçois qu’au fil du temps, j’ai donné toutes les réponses possibles. Pour. Contre. Plus tard. Bientôt. Oui si. Oui mais. Non mais. A tel point qu’aujourd’hui, je ne sais plus quoi en penser.

Plus exactement, j’en pense beaucoup de choses, mais aucune ne suffit pas à elle seule à emporter mon adhésion définitive.

Sur le plan scientifique

Le très sérieux Lancet a colligé le 20 mars dernier l’ensemble des travaux scientifiques publiés sur l’utilité du masque pour la population. D’où il ressort que qu’il « existe une distinction essentielle entre absence de preuve et preuve d’absence ». Je traduis en français : on n’est pas sûr que ça marche, mais ça ne signifie pas que ça ne marche pas. Débrouillez-vous avec ça !

De fait, on est loin d’un consensus scientifique. Ainsi, l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) désapprouve un usage massif du masque chirurgical, mais elle le recommande pour les personnes contaminées. A l’inverse, deux chercheurs de l’Université du Maryland estiment que, « par précaution », il faudrait le généraliser.

Même chose pour les masques en tissu : la Société française d’hygiène hospitalière juge leur efficacité « marginale », donc insuffisante, tandis que l’Académie de Médecine préconise fortement leur utilisation et leur fabrication, « fût-ce de fabrication artisanale ».

Sur le plan sanitaire,

Ce n’est pas tellement plus évident. D’un côté, le bon sens nous fait dire que, même s’il n’est pas efficace à 100%, un masque chirurgical limite les risques de transmission. Et qu’un simple masque en tissu, « c’est toujours mieux que rien ».

De l’autre, des spécialistes rappellent que le masque n’est qu’un outil parmi d’autres de réduire les risques. Qu’il doit être accompagné de mesures supplémentaires. Qu’il pourrait même donner, à tort, un sentiment de sécurité ; et que du coup certains seraient enclins à moins respecter les gestes barrière. En outre, mal mis ou mal porté (et c’est malheureusement souvent le cas, il suffit de se promener dans la rue), le masque peut être vecteur de transmission – notamment quand on le touche avec ses doigts et qu’on le contamine sans s’en rendre compte.

Bref, le remède pourrait être pire que le mal.

Sur le plan juridique,

L’obligation de porter un masque dans la rue est un véritable casse-tête. Je note d’ailleurs qu’hier soir, Emmanuel Macron n’est pas entré dans les détails et n’a pas prononcé le mot « obligatoire ». En outre, à chaque fois qu’un maire a voulu édicter un décret en ce sens, il a été retoqué par le Préfet au motif qu’il ne reposait pas sur des bases légales suffisantes.

De fait, sur quels fondements juridiques imposer le port du masque ? Avec quelles sanctions ? Des sanctions prononcées par qui ? Et qui concerneraient qui ? Les habitants de la commune ou tout le monde ? Car enfin, une commune, ce n’est pas un espace clos qu’on pourrait aisément circonscrire. A fortiori une grande ville. Quid, par exemple, des banlieusards qui y travaillent sans y habiter ?

Sur le plan pratique,

Supposons que la municipalité décide de fournir un masque à chaque administré. Comment les distribuer ? La Poste fonctionne mal et les employés municipaux ne sont pas en nombre suffisant. Mais convoquer les habitants à la mairie ou à des points de distribution, c’est prendre le risque de provoquer des attroupements – et, donc, des contaminations supplémentaires.

Supposons maintenant qu’il n’y ait pas de distribution. Il faudrait alors que la notion même de masque soit précisée. Et là… Qu’est-ce qu’un masque ? Une feuille de papier repliée ? Un morceau de tissu ? De quelle taille ? Quelle longueur ? Quelle épaisseur ? Et à porter comment ? Et pour protéger quelle partie du visage ? J’attends avec curiosité la réponse que fera le Conseil d’État s’il est saisi d’une telle question…

Sur le plan culturel,

L’usage généralisé du masque renvoie à un modèle culturel qui nous est étranger – au sens propre du terme. Ce modèle, c’est celui des pays asiatiques, où le port du masque est intégré depuis longtemps. Avec cette particularité qu’on ne le met pas pour se protéger soi, mais pour protéger les autres chaque fois qu’on est malade.

Dans un pays aussi individualiste que la France, je ne suis pas sûr que cette idée emporte facilement l’adhésion – il n’est que de voir les réticences d’une partie de la population face aux vaccins… Et du coup, si le masque est synonyme de « potentiellement malade », il risque de provoquer des réactions de rejet vis-à-vis de ceux qui le portent.

Par ailleurs, dans les pays asiatiques, les consignes collectives sont en général très respectées, spontanément ou sous la contrainte c’est un autre débat, mais elles sont respectées. Là encore, à voir les difficultés que rencontrent les forces de l’ordre pour faire respecter les recommandations officielles, on est en droit de douter de l’acceptation totale et sans réserve de toute la population.

L’intime et l’universel,

Il est une autre question que soulève le port systématique du masque, et cette question relève à la fois de l’intime et de l’universel. Nous vivons dans une civilisation de l’échange, de la visibilité, d’une certaine transparence – contrairement aux pays musulmans où les femmes se montrent moins volontiers dans la rue, où le port du voile n’est pas un choix, mais un impératif religieux voire légal.

Avons-nous envie de vivre dans un monde où on ne pourrait plus regarder un visage en entier ? Où on ne croiserait plus que des gens masqués ? Anonymes ? Un monde où on ne pourrait plus échanger un sourire ? Même si j’entends les enjeux de santé publique liés au port du masque, j’ai un peu de mal à m’y résoudre.