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Au début, j’ai vraiment pensé que c’était une fake news. Et puis j’ai dû me rendre à l’évidence : hier, le Président Macron a bien passé son après-midi à Marseille avec le Pr Raoult. La télé ne parlant que de ça dans la soirée, j’ai fini par éteindre le poste en me disant qu’après une bonne nuit de sommeil, ma colère passerait.

Mais ce matin, rien à faire. Ca ne passe pas. Le Parisien et le Figaro en font leur Une, Libération y consacre deux pages, les radios tournent en boucle sur le sujet. Ca ne passe pas et, du coup, j’ai compilé ce qu’on appelle les « éléments de langage » de l’Elysée, censés servir de décryptage de la pensée présidentielle. Voici donc quelques citations émanant de « proches » ou de « son entourage ».

« C’est un déplacement comme un autre »

Bien sûr. Depuis le début de l’épidémie, Emmanuel Macron consacre régulièrement des demi-journées entières de son agenda surchargé à rencontrer des chercheurs. Tout aussi régulièrement, les médias s’en font l’écho. Jour après jour, le Président rend compte aux Français de l’avancée des connaissances et des onze essais cliniques actuellement en cours. Un déplacement « comme un autre » ? Non mais franchement, de qui se moque-t-on ?

« Le Président veut montrer qu’il ne néglige aucune piste »

Pourquoi pas ? Mais il n’avait pas besoin d’aller à Marseille pour cela – et ce, même si un partisan de Raoult explique le plus sérieusement du monde que « le Professeur travaille et n’a pas le temps de monter à Paris » ! Il suffisait au Président d’organiser un entretien téléphonique et de le faire savoir. D’autant que, selon des « indiscrétions » émanant de l’Elysée, opportunément relayées depuis une semaine, le Pr Raoult parle fréquemment avec Brigitte Macron et que, de son côté, le Pr Raoult se vante d’avoir « ses entrées au Palais ».

« Cela ne légitime pas un protocole scientifique »

Mais si, et c’est bien le problème. De très nombreux experts pointent les insuffisances criantes des travaux du Pr Raoult ? Ces travaux ne sont toujours pas publiés dans une revue internationale ? Le Pr Raoult refuse toujours de partager ses données avec ses collègues ? Aucune importance. Hier, au mépris de toute éthique professionnelle, Didier Raoult a même profité de l’occasion pour présenter au Président, « en avant-première », les résultats de son dernier essai. Et celui-ci a annoncé, dans la foulée, qu’il le présenterait au conseil scientifique.

Que Macron le veuille ou non, il légitime donc bel et bien la démarche du virologue marseillais. Or, les quelques chiffres qu’il a lâchés hier sont confondants d’approximations. Le pourcentage de guérisons avancé (91%)  est excellent – sauf que les patients étudiés sont plus jeunes (48 ans en moyenne) et en meilleure santé (peu de comorbidités) que la plupart des malades hospitalisés. En réalité, dans une telle population on retrouve exactement le même pourcentage (90%) de guérison spontanée sans traitement !

De même, le critère de succès (la charge virologique) est rempli – sauf que la technique utilisée n’est pas toujours fiable, et que les résultats varient d’un jour sur l’autre. Enfin, cette étude ne comporte pas de groupe contrôle. En clair, le Pr Raoult ne compare pas ses patients guéris avec des patients guéris sans traitement. Impossible donc de connaître l’efficacité spécifique de celui-ci. Rappelons qu’en 2016, ce même Pr Raoult écrivait dans une revue scientifique qu’ « il est temps de tourner la page des essais sans groupe contrôle ». Je ne vais pas redire ici ce que je pense du Pr Raoult mais tout cela interroge.

« Cela n’a pas de dimension politique »

Bien sûr que si ! En région PACA, la droite a le petit doigt sur la couture du pantalon devant Didier Raoult. Christian Estrosi, Renaud Muselier, Valérie Boyer, Martine Vassal… Tous ne jurent que par lui. L’ancien ministre de la Santé Douste-Blazy lui fait une promotion éhontée. A l’autre bout de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon y va également de son soutien – avec cet étrange argument selon lequel Raoult est légitime parce qu’il est « mal aimé des belles personnes ». Bref, une grande partie de la classe politique prend fait et cause pour lui et reproche à Macron de ne pas lui accorder assez de considération.

« Ce n‘est pas un signal envoyé à l’opinion publique »

Sauf que l’opinion publique, justement, est derrière Raoult. Une partie des Français est convaincue que les pouvoirs publics mentent et qu’ils sont « contre » Raoult – par idéologie, par aveuglement, par parisianisme. Et je ne parle même pas de ce sondage surréaliste paru dans Le Parisien lundi, qui demandait aux Français si « à leur avis », la chloroquine était … efficace. Efficace ? Mais sur quoi peuvent bien se fonder les 59% qui répondent « oui » ?

C’est ainsi. En juillet 2018, la France comptait 68 millions de sélectionneurs. En avril 2020, la France compte 68 millions de virologues. Emmanuel Macron n’ignore rien de tout cela.

On peut tout à fait demander aux Français leur avis sur des questions complexes : l’immigration, la lutte contre les inégalités, l’insertion sociale hier, la lutte contre le Covid 19 aujourd’hui. Mais, en se déplaçant à Marseille, Emmanuel Macron accorde du crédit à l’opinion publique sur des enjeux qu’elle ne maitrise pas. Cela porte un nom. Cela s’appelle de la démagogie.