Covid : ceux qui « savent » et… ceux qui savent qu’ils ne savent pas

Je suis stupéfait devant les gens qui ne savent pas et qui parlent comme s’ils savaient.

Je songe aux journalistes et aux commentateurs des chaines d’infos qui, selon les jours et les heures, s’improvisent experts en médecine, en recherche, en épidémiologie, en macro-économie, en protection des données personnelles et j’en passe.

Je suis en colère devant les gens qui ne savent pas, et qui parlent en disant n’importe quoi.

Je songe à Marine Le Pen, aux complotistes, aux relayeurs de fake news en tout genre. A Christian Estrosi également : spécialiste en essais cliniques depuis qu’il a essayé la chloroquine ; spécialiste en tissus depuis qu’il a commandé des masques pour les Niçois.

Je suis effrayé devant les gens qui savent et qui disent n’importe quoi.

Je songe à Philippe Douste-Blazy ou au Pr Péronne. Le premier a été ministre de la Santé et fait la promotion éhontée du Pr Raoult. Le second est chef de service en épidémiologie à Garches, et affirme « J’ai ma conviction personnelle. Les statistiques je m’en fous ! » pour vanter la chloroquine.

Je suis respectueux des gens qui savent et qui parlent juste.

On les voit moins souvent, car ils n’entrent pas dans des polémiques stériles. D’ailleurs, ils restent le plus souvent dans leur domaine de compétence. C’est le cas du Pr Yazdanpanah sur l’évolution des patients Covid. Du Pr Casalino sur l’épidémiologie. De Serge Héfez sur la psychanalyse. D’Olivier Duhamel dans le champ politique. Et bien d’autres.

Mais je suis plus respectueux encore devant les gens qui savent et qui assument de reconnaître qu’ils ne savent pas.

Ainsi Karine Lacombe et Olivier Véran. La première est médecin, scientifique, et je ne compte plus les fois où, à la question « Quand sortira-on du confinement ? »,  elle a répondu avec honnêteté « Je l’ignore, cela dépend de plusieurs facteurs que nous ne maitrisons pas ». Quant à Olivier Véran, il ne cesse de le dire et le répéter : « Je ne sais pas tout. Je vous dis ce que je sais au moment où je le sais ».

Pour avoir interviewé tous les ministres de la santé entre 1987 et 2015, année où j’ai quitté L’Express, je peux témoigner  qu‘une telle modestie n’est pas fréquente. De tous ceux qui l’ont précédé (Mattei, Bachelot, Bertrand…) Olivier Véran est le seul à pousser aussi loin la transparence au moment d’une crise sanitaire. Fait unique à ce jour, les pouvoirs publics ont créé un site Internet où sont répertoriées toutes les données publiques et validées concernant le Covid 19.

Cette attitude est d’autant plus exemplaire que notre société actuelle est traversée par deux exigences, aussi fortes que contradictoires. Le principe de précaution d’une part, inscrit dans la Constitution, qui se traduit par une certaine frilosité devant les avancées de la science. Un refus obstiné de l’incertitude d’autre part, qui se traduit par un besoin de se rassurer, de « savoir » – besoin encore plus impérieux face à l’épidémie de Covid 19. Or, non seulement nous ne savons pas tout, mais la vérité du jour peut être contredite le lendemain.

Prenons les données épidémiologiques en provenance de Chine. Incompétence ? Ignorance ? Mensonge ? Difficile de trancher. Mais une chose est sûre : ces données ne sont pas corroborées par la situation européenne. Les Chinois nous décrivent un virus qui ne s’attaque qu’aux plus de 80 ans, relativement peu contagieux, aux symptômes univoques (pulmonaires essentiellement) et à la mortalité quasi négligeable. Et voilà qu’en France, on découvre que les moins de 60 ans sont touchés, qu’ils peuvent mourir même en l’absence de comorbidités, que des signes jusque-là inconnus (atteintes de l’odorat et du goût) sont très fréquents.

S’ils avaient eu connaissance de ces éléments, nul doute que les pouvoirs publics auraient adopté une stratégie différente. N’empêche : ces ajustements progressifs ont pu donner le sentiment que les autorités sanitaires avaient mal anticipé la situation. Et accréditer l’idée (fausse) qu’ils ont caché la vérité.

Autre exemple : l’essai sur le ver marin, censé permettre une meilleure oxygénation des patients Covid. Présenté en début de semaine comme une piste sérieuse et prometteuse, il a été brutalement arrêté aujourd’hui. La raison : l’ANSM, l’agence du médicament, a découvert qu’un essai datant de 2011 sur le porc avait donné des résultats désastreux, avec 100% de mortalité. Et que les données de cette étude jamais publiée n’avaient pas été versés au dossier officiel.

Si l’ANSM en avait été informée, nul doute qu’elle n’aurait pas lancé cet essai. N’empêche : ce revirement pourrait donner le sentiment que la recherche est un monde de magouilles. Et accréditer l’idée (fausse encore) qu’une sommité comme le Pr Raoult serait en butte aux jalousies de pontes parisiens.

C’est ainsi : le temps de la science n’est pas le temps politique, et encore moins le temps médiatique. Je conçois que la complexité du monde soit difficile à accepter. Qu’il soit plus facile de trouver à tout prix un coupable. Qu’une fake news puisse sembler plus « rassurante » qu’une informations fragile. Je conçois que ces réflexes révèlent au fond une angoisse irrépressible, insupportable face à la mort. Qu’ils sont l’expression de la peur plus que de la bêtise. Mais je le conçois, mais je ne m’y résous pas.