Médecins-pharmaciens : la guerre est déclarée


Et si les médecins pensaient d’abord aux patients au lieu de défendre à tout prix leur pré carré ? C’est la réflexion que je me suis faite après le vote d’un amendement à l’Assemblée Nationale, amendement visant à permettre aux pharmaciens de délivrer sans ordonnance des médicaments… sur ordonnance ! Concrètement, devant une cystite par exemple, le pharmacien pourrait proposer un antibiotique alors qu’aujourd’hui il doit en principe exiger que la patiente ait vu au préalable un médecin.
Or, à entendre certains d’entre eux, cet amendement provoquerait quasiment la mise à mort de la fonction même de médecin. Qu’on en juge : ce serait « une vente à la découpe de la profession », tonne le syndicat MG France. « Un mélange des genres et des professions {qui} ne peut qu’engendrer des erreurs de diagnostic et de prise en charge », ajoute le Dr Ortiz, président de la CSMF, le premier syndicat de médecins. Le meilleur, si j’ose dire, revenant au président de la FMF (Fédération des médecins de France), Jean-Paul Hamon : « Arrêtons de vouloir faire changer les pharmaciens de métier. Si les pharmaciens veulent faire médecin, qu’ils fassent médecine » déclare-t-il au journal Le Monde. Plus méprisant, tu meurs !
Ces réactions épidermiques sont d’autant plus surprenantes que le texte encadre très étroitement ces dérogations : l’expérimentation sera limitée à deux régions, elle durera trois ans et concernera uniquement quelques pathologies, comme la cystite, la conjonctivite ou l’eczéma. En outre, la liste des médicaments sera établie par arrêté ministériel et le pharmacien devra se référer à un « protocole médical et de coopération conclu avec le médecin traitant ». Bref, on est bien loin de « la confusion des rôles » dénoncée par MG France.
D’autant qu’en pratique, certains pharmaciens pratiquaient déjà la délivrance sans ordonnance lorsqu’ils le jugeaient bon. A tire personnel, il m’est parfois arrivé d’aller chez mon pharmacien habituel et demander un médicament en expliquant que mon médecin traitant n’était pas disponible ce jour-là. Et celui-ci a parfois accepté, parce qu’il me connaît bien et parce que j’avais déjà pris le traitement en question.
A l’inverse, je me souviens encore de la colère qui m’a pris il y a une dizaine d’années. C’était un dimanche soir, je revenais d’une balade dans les bois, j’avais été piqué par une tique et j’avais besoin de quelques millilitres d’éther pour l’endormir et l’enlever. Devant le refus du pharmacien je lui avais demandé : « Vous n’allez quand même pas m’obliger à aller encombrer un service d’urgences pour ça ? ». « Si ! » m’avait-il répondu.
Qu’on ne se méprenne pas : je ne me glorifie pas de m’affranchir des règles et je ne milite pas pour la délivrance systématique d’un médicament sans ordonnance. Je rappelle d’ailleurs que sur le plan légal, un pharmacien est toujours co-responsable avec le médecin de cette délivrance – y compris voire surtout quand ce dernier fait une erreur de dosage ou d’interaction médicamenteuse, ce qui peut arriver de temps en temps.
Au fond, cette polémique prêterait à sourire sil elle ne révélait un profond malaise d’une partie du monde médical. L’autorisation de pratiquer la vaccination anti-grippale accordée aux pharmaciens avait déjà provoqué quelques grincements de dents. La perspective d’autoriser, sous conditions, certaines infirmières dites en pratique avancée à délivrer certains médicaments semble effrayer davantage encore. Comme si, de proche en proche, leur cœur de métier était délégué à d’autres professionnels.
Je comprends que des médecins puissent se sentir dépossédés de leurs prérogatives. Je conçois qu’ils en aient assez de voir leurs compétences remises en cause par des patients qui débarquent en ayant tout lu et tout compris (croient-ils !) sur Internet. J’imagine leur énervement devant la déferlante des thérapies alternatives et de ces « pata spécialistes » qui remettent systématiquement en cause les connaissances scientifiques – du genre « les médecins vaccinent parce qu’ils sont achetés par les labos » ou « ce sont les anti-rétroviraux qui provoquent le sida ».
Mais je leur dis : au lieu de vous plaindre pas de votre image réactionnaire, changez de représentants syndicaux ! Vous n’avez rien à gagner à jouer le corporatisme à outrance. Au lieu de vous plaindre de perdre votre temps à faire de la bobologie, lâchez ce qui peut être fait par d’autres que vous ! Vous avez tout à gagner à ce que chacun monte en compétence. Car personne ne vous enlèvera ce qui fait de votre métier de médecin, l’un des plus beaux qui soient au monde : soigner une personne.
Précision importante ajoutée ce lundi : j’ai rédigé ce post de blog sur la foi d’une dépêche AFP reprise par Le Monde (dans l’article mentionné ci-dessous). Or, dans la nuit de vendredi à samedi, la proposition de loi a finalement été rejetée « après décompte manuel des voix ». Explication de ce vote surprise : adoptée par la Commission des Affaires Sociales, relayée par son rapporteur Olivier Véran, cette proposition a été réfutée au dernier moment par Agnès Buzyn – alors même qu’elle la soutenait officiellement quelques jours auparavant ! Au final, c’est un amendement plus frileux qui a été adopté : les pharmaciens pourront bien délivrer des médicaments sur ordonnance sans ordonnance, mais uniquement pour les maladies chroniques et des ajustements de posologie. Pour mieux comprendre, lire le post suivant !