Des experts de la HAS accusés de corruption


C’est une première et elle risque de faire du bruit : l’association Anticor vient de déposer plainte contre des experts de la Haute Autorité de Santé (HAS) pour « prise illégale d’intérêt » – en clair, elle les accuse d’être corrompus par des laboratoires pharmaceutiques. Corruption : le gros mot est lâché et il y a fort à parier que cette affaire va renforcer la méfiance du grand public vis-à-vis des médecins sur le thème « Tous pourris » et accroitre la paranoïa de certains, notamment les anti-vaccinaux.
Révélée par L’Express, cette plainte concerne une « fiche Mémo » publiée en 2017 par la HAS sur les stratégies de prise en charge des patients atteints d’hypercholestérolémie. Elle vise nommément six experts du groupe de travail qui l’a rédigée. Pourquoi cette fiche plutôt qu’une autre ? Parce les recommandations ont un impact direct sur le nombre de patients potentiels et que les enjeux financiers sont considérables : 7 millions de Français prennent aujourd’hui un traitement anti-cholestérol et le coût pour l’Assurance Maladie avoisine le milliard et demi d’euros.
Pourquoi ces experts ? Anticor leur reproche de ne pas avoir respecté les règles édictées par la HAS elle-même. Pour mémoire, la HAS est une autorité indépendante aux pouvoirs très larges, puisqu’elle certifie les établissements de santé, qu’elle évalue les médicaments et qu’elle définit des recommandations de bonne pratique. Pour ces deux dernières missions, elle fait appel à des experts reconnus, mais tenus de remplir au préalable une « déclaration publique d’intérêt » précisant tous leurs liens financiers avec les industriels.
Or selon l’association Formindep, certains d’entre eux n’ont pas déclaré leurs activités, d’autres ont « oublié » de préciser tout ou partie de l’argent qu’ils ont touché. Bref, sur les neuf experts, six se seraient allègrement affranchis de leurs obligations légales. D’où ce courrier du Formindep envoyé en juin dernier à la HAS pour exiger qu’elle supprime la fiche en question, et surtout qu’elle signale ces faits à la justice.
La réponse de la Présidente de la HAS est claire : c’est non ! « Les liens d’intérêt des membres du groupe de travail ont, avant le démarrage des travaux de celui-ci, été analysés et gérés conformément aux procédures en vigueur » écrit-elle en réponse au Formindep. Pas satisfait du tout par cet argument, le Formindep a donc saisi le Conseil d’Etat en août dernier en dénonçant « les déclarations mensongères de certains experts ».
Les sommes en question laissent, il est vrai, songeur… Ainsi, le Pr Bruno Vergès, chef de service au CHU de Dijon, déclare en 2015 n’avoir aucun intérêt financier avec des labos, alors même qu’il a touché en 2013/2014 plus de 11 500 euros de rémunération et près de 8 500 euros d’avantages divers – d’un repas à 18 euros à un voyage en avion à 1 235 euros ! Si l’on ajoute l’argent reçu depuis 2015, on arrive à la coquette somme de 65 000 euros en avantages et 36 000 euros en contrats et rémunérations.
Présentées ainsi, on voit mal comment le Conseil d’État pourrait ne pas suivre les demandes du Formindep – à l’instar de ce que ce dernier avait déjà obtenu en 2011 à propos de la maladie d’Alzheimer. Pour autant, la ligne de défense du Dr Jean-Michel Lecerf interpelle. Chef de service à l’Institut Pasteur de Lille, cet expert mentionne dans sa déclaration des contrats avec l’industrie agroalimentaire, mais pas le fait qu’en 2015 il participe à un essai clinique pour un labo dont le médicament est cité dans le Mémo de 2017. Interrogé par L’Express, ce nutrionniste médiatique répond : « Je ne suis à la solde de personne. Si l’on se prive de l’avis des experts qui font des recherches cliniques avec les laboratoires, on se limitera à celui de ceux qui ne connaissent rien à rien ».
Et de fait, à qui font appel les labos pour leurs essais cliniques, sinon aux meilleurs spécialistes disponibles sur le marché ? A qui fait appel la HAS pour ses recommandations, sinon à ces mêmes spécialistes ? Dès lors, il n’existe pas beaucoup de solutions : soit on change les règles du jeu, soit on les adapte, soit on fait appel à des « petits jeunes », experts dans leur domaine mais pas encore repérés par les labos – ce qui suppose, au passage, que la HAS les rémunère à la hauteur de leurs compétences ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Je vois bien la complexité de la situation et je n’ai évidemment pas de solution miracle à proposer. Mais je suis sûr d’une chose : tant que les experts traiteront par le mépris cette exigence – nouvelle et justifiée – de transparence, tant qu’ils ne seront pas sanctionnés pour cela, le doute subsistera sur leur intégrité. Pour le bénéfice de qui je l’ignore, mais au détriment sûrement de la santé publique. Reprenons l’exemple du Mémo sur le cholestérol : à en croire le Collège de médecine générale, les seuils définis par les experts conduiraient à traiter « au moins 50% » des seniors en France, et ce alors même que « leur méthode d’élaboration pose problème ». Ont-ils donc vendu leur âme aux labos ? Ils s’offusqueraient sûrement d’une telle accusation et pour ma part, je préfère ne pas penser qu’ils pourraient trahir le serment d’Hippocrate contre quelques milliers d’euros. Mais la meilleure façon de se pas s’exposer aux reproches, fussent-ils injustifiés, c’est encore d’être absolument irréprochables.