sida : comment combattre les idées fausses

Et si « on » avait tout faux ? Et si « on » s’était trompé, en pensant que ce n’était plus la peine de parler du sida aux jeunes ? « On », c’est-à-dire tout de monde ou presque : parents, médecins, pouvoirs publics, médias, enseignants… A lire les résultats du sondage Ifop-Bilendi pour le Sidaction qui se déroule ce week-end, la question n’a malheureusement rien de rhétorique. De fait, le niveau de connaissance des 1002 Français interrogés, âgés de 15 à 24 ans, est plus qu’inquiétant.

Peut-on être contaminé en embrassant un séropositif ? Oui, répondent-ils à 21%. En entrant en contact avec sa transpiration ? Oui à 18%. La contraception d’urgence protège-t-elle d’une éventuelle contamination ? Oui 19%. Je précise à cette occasion qu’il s’agit là de croyances erronées : non, le sida ne s’attrape pas en embrassant ni en échangeant sa sueur ; non, la pilule du lendemain ne protège en aucune manière du virus. Elle permet d’éviter une grossesse, ce qui n’est déjà pas si mal.

Pire, non seulement ces idées fausses persistent, mais elles s’accroissent – et de façon impressionnante : si l’on regarde les résultats de 2015, ils n’étaient respectivement « que » 15%, 10% et 10% à répondre « oui » à ces trois questions. J’ai même cru à une erreur sur une autre question, tant les résultats sont démoralisants : 8% des jeunes pensent que le paracétamol peut protéger du sida, dont 17% des jeunes filles de 15 à 17 ans. Oui, vous avez bien lu : 17%…

L’ancien journaliste Santé que je suis, auteur d’innombrables papiers sur le sujet depuis 1986, se sent désemparé face à la persistance de ces poncifs. Comme si depuis trente ans, depuis le début de l’épidémie, rien n’avait été écrit, expliqué, précisé. Comme si cette épidémie était derrière nous – alors même que le nombre de nouvelles contaminations reste désespérément stable aux alentours de 6 000 par an, et que parmi les 15/24 ans la hausse est de 24% entre 2007 et 2018.

Si encore les jeunes se protégeaient systématiquement… Mais non : près d’un sur six admet avoir été au moins une fois exposé à un risque de contamination – et pourtant seuls 40% d’entre eux ont effectué un test de dépistage ensuite. Si encore ils n’étaient pas concernés… Mais si : un jeune sur dix connaît dans son entourage une personne séropositive, et chez les hommes de 21 à 24 ans, le pourcentage grimpe à 17%.

C’est ainsi : en matière de santé, le sida incarne jusqu’à la caricature les bienfaits mais aussi les limites de notre système de santé. Côté traitements, rien ou pas grand-chose à redire : ils sont efficaces, disponibles et accessibles sans aucun frein financier – y compris la prophylaxie d’urgence qui permet, rappelons-le, d’éviter près de 90% des contaminations quand elle est prise à temps. Côté scientifique également, la France n’a pas à rougir, loin de là : qu’il s’agisse de recherche fondamentale ou appliquée, les structures publiques existent et les essais cliniques sont d’excellente qualité.

Quant aux limites de notre système, elles sont connues depuis longtemps : pas assez d’épidémiologie, pas du tout de prévention. Et là aussi, le sida fait office d’exemple emblématique. De fait, aucune campagne d’information digne de de ce nom n’a été lancée en France depuis le début de l’épidémie. Slogans nuls (« le sida ne passera pas par moi » !), discours confus, communication frileuse… sous prétexte de ne stigmatiser personne, tous les gouvernements successifs se sont contentés de propos généralistes, mièvres et pour tout dire complètement à côté de la plaque.

Il faut changer d’approche. Cesser de se défausser sur les associations pour sensibiliser les groupes les plus concernées, en particulier les homos, les toxicos ou les populations dites « subsahariennes » (en clair : l’Afrique noire). En d’autres termes, il faut regarder la réalité en face et s’adresser de façon ciblée aux uns ou aux autres. Y compris les jeunes, et ce quelle que soit leur orientation sexuelle. Y compris en osant des images chocs et des messages forts. Après tout, le succès du film 120 battements par minute montre que le grand public n’est pas si prude que certains le pensent.

Cela s’appelle faire preuve de courage politique. Emmanuel Macron n’en manque pas, semble-il. Encore faudrait-il qu’il manifeste un minimum d’intérêt pour ces questions de santé publique. Son absence en juillet dernier au congrès mondial sur le sida à Paris n’incite pas à un optimisme démesuré…

Alors ? Alors, même si le Président brille par son silence, il faut néanmoins dire et redire que les traitements contre le sida existent, et qu’ils permettent souvent de « vivre avec » et toujours d’éviter de contaminer ses partenaires. Mais dire et redire aussi qu’ils ne guérissent pas et que le mieux est encore de se protéger et de s’informer. « Silence = mort » proclamaient les militants d’Act Up dans les années 90. Et cela, « on » ferait bien de s’en souvenir.