Medias : À quoi joue le Pr Raoult ?

Je m’étais promis de ne pas reparler du Pr Raoult – en tout cas, pas si vite. Car le Pr Raoult engendre des réactions si passionnées qu’elles en deviennent inquiétantes. Ainsi, le dernier post que je lui ai consacré a été lu par plus d’un million de personnes ! C’est beaucoup. C’est presque trop. Surtout, ce post a suscité plusieurs milliers de commentaires agressifs, injurieux, et même menaçants pour certains : on m’a traité de « meurtrier », de « collabo », de « nazi » ; on a voulu me « pendre », me « faire la peau » et même « me cracher à la gueule » (proposition faite par un malade Covid +).

Les sujets de post sur le Covid 19 ne manquaient pas cette semaine : la pénurie de masques, la nouvelle carte de France en couleurs, la maladie de Kawasaki chez les enfants et j’en passe. Mais voilà : jeudi, je découvre le dernier numéro de Paris Match qui consacre trois pages au Pr Raoult. Puis vendredi, j’écoute son interview sur BFM qui lui accorde une heure entière. Et enfin samedi, je tombe sur ses déclarations sur le site du Nouvel Obs. Devant autant de propos approximatifs, parfois inexacts, souvent outranciers, n’en déplaise à mes détracteurs je prends la plume et repars au combat – celui d’une certaine éthique journalistique.   

Voici donc une petite sélection des dernières déclarations du Pr Raoult qui méritent réponses et rectifications.

« 57% des médecins dans le monde prescrivent mon traitement » (BFM)

En l’entendant, ce chiffre m’a paru bizarre.  J’ai donc vérifié. Et découvert que s’il avait été rigoureux, le Pr Raoult aurait dit ceci : un réseau social américain de médecins (Sermo) a fait un sondage auprès de ses 6000 abonnés dans 30 pays en leur demandant leur avis sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine. Un tiers environ ont répondu, et parmi eux une (petite) majorité a cité cette molécule. Degré de compétence en virologie de ce réseau ? Zéro. Représentativité de l’échantillon ? Zéro. Niveau de sérieux de cette « enquête » ? Zéro.

« La chloroquine est le 2ème médicament le plus prescrit au monde après l’aspirine » (Paris Match)/« L’Azithromycine est le 2ème médicament le plus prescrit au monde après l’aspirine » (BFM)

Je suis perdu. Qui croire : Didier ou Raoult ? Raoult ou Didier ? Au-delà de cette évidente contradiction, les deux affirmations sont chacune discutables. La chloroquine est peut-être le 2ème médicament le plus prescrit. Mais ce n’est pas celui que le Pr Raoult a testé. Il a testé l’hydroxychloroquine qui en est un dérivé. Par conséquent, ses indications, ses effets et ses contre-indications sont différents.

Quant à l’Azithromycine, elle est effectivement prescrite contre les pneumopathies. Mais elle ne constitue en aucun cas le « traitement de référence » comme il le prétend : c’est une molécule parmi d’autres, au même titre que l’amoxicilline par exemple, et pas forcément la plus efficace comme le rappelle la revue Cochrane, qui fait autorité en matière de méta-analyses mondiales. L’Azithromycine n’est donc sans doute pas, elle non plus, le 2ème médicament le plus prescrit.

« Ce n’est pas une étude, c’est un pré-print ! » (BFM)

C’est l’argument avec lequel le Pr Raoult réfute le travail d’une équipe américaine qui met en cause ses résultats. Pour ceux qui ne sont pas au fait des publications scientifiques, j’explique. Une étude fait parfois l’objet d’un « pré-print » (littéralement, avant impression) : avant qu’elle ait été validée par des pairs, avant donc de faire l’objet d’une publication dans une revue sérieuse et reconnue, des chercheurs donnent quand même leurs premiers résultats quand ils les jugent intéressants.

J’ai failli m’étouffer de rire en entendant le Pr Raoult : ses propres travaux sur l’hydroxychloroquine sont tous des pré-print ! Aucun d’entre eux n’a été publié à ce jour, car le Pr Raoult refuse de partager l’ensemble de ses données avec d’autres chercheurs. Il leur préfère YouTube ou Twitter et ne donne que les résultats qui l’arrangent, sans jamais entrer dans les détails de ses expérimentations. D’où les critiques, légitimes, que de nombreux scientifiques dans le monde entier lui adressent.

« Le consensus {scientifique},  c’est Pétain » (Paris Match)

Le Pr Raoult le proclame régulièrement : tout chercheur devrait être habité par l’esprit de doute, de questionnement. Je partage cette idée, car l’unanimité dans le domaine des sciences est suspecte et le refus du conformisme permet parfois de grandes découvertes. Mais de là à dénoncer le consensus… Au fond, Didier Raoult révèle ici sa démarche intellectuelle et celle-ci pose question : il ne pense pas avec, il ne pense pas à côté, il pense « contre ». Systématiquement. Et, hélas, pas contre lui-même.

Or, le consensus (entendu comme l’accord du plus grand nombre), c’est aussi ce qui permet de faire avancer les connaissances. C’est le consensus qui permet d’établir les « bonnes pratiques » en matière médicale ; lui qui permet de dénoncer les charlatans, les marchands de faux espoirs. C’est sur lui que repose la lutte contre les fake news. Refuser par principe le consensus, c’est laisser croire qu’en matière de science, tout se vaut.

« Les Chinois ne mentent pas plus que les Français, je ne crois pas » (BFM)

Ainsi donc, le Pr Raoult « croit » les Chinois quand ils affirment qu’ils n’ont eu que 4 500 morts du Covid dans tout le pays. Et ce, malgré les preuves accablantes que les autorités du pays ont volontairement retardé l’annonce des premiers malades, qu’elles ont empêché les médecins de communiquer, qu’elles ont fait pression sur l’OMS pour qu’elle ne parle pas de pandémie mondiale. Naïveté ou aveuglement je ne sais, en tout cas je ne vois pas comment le Pr Raoult pourrait expliquer un tel mystère épidémiologique qui voudrait que la Chine ait six fois moins de morts que l’Italie ou l’Espagne.

Plus grave, quand le Pr Raoult « ne croit pas » que les Chinois mentent plus que les Français, il met les deux pays sur un pied d’égalité. Il nourrit la thèse du « tous pourris ». Il alimente (volontairement ?) le complotisme effarant qui se développe dans notre pays et ailleurs. Et cela, ce n’est pas digne d’un scientifique responsable et soucieux de la santé publique.

« Le réchauffement climatique, à titre personnel je ne le vois pas » (Nouvelobs.com)

Je partage au moins un point commun avec le Pr Raoult : à titre personnel, je ne crois pas en Dieu car je ne le vois pas ! Plus sérieusement, Didier Raoult ne fait là que confirmer sa conviction de climato-sceptique, position qu’il défend depuis toujours, notamment dans des Tribunes écrites pour le journal Le Point il y a quelques années. Il persiste donc et signe.

Pour autant, l’argument « parce que je ne le vois pas » me laisse dubitatif. D’abord parce qu’il lui suffirait de regarder quelques cartes (celles de l’Antarctique ou des Alpes par exemple) ou d’interroger quelques spécialistes qui, eux sont compétents dans ce domaine. Mais aussi parce que ce « je ne le vois pas » est de l’ordre de la croyance et non du savoir. Dans la bouche de celui qui professe « Je suis un homme de savoir, pas un devin » (Paris Match) cela est inquiétant. Didier Raoult, notre nouveau Saint-Thomas, ferait bien d’ouvrir les yeux.

Le vrai problème de ces déclarations, c’est qu’elles ont été faites dans trois médias qui, chacun en conviendra, ne constituent pas des références en matière de publication scientifique de haut niveau. En jouant la carte du grand public contre le regard de ses pairs, Didier Raoult gagne sur les deux tableaux : il s’assure une résonnance médiatique à peu de frais. Et, du coup, il rend ses contradicteurs quasi inaudibles.

Cette stratégie de communication est d’autant plus efficace que, face à lui, les journalistes qui l’interrogent n’ont aucune culture scientifique. Ils ne sont donc pas en mesure d’apporter quelque contradiction que ce soit à ses déclarations péremptoires. Plus gênant encore, insuffisamment préparés, peu au fait du dossier, ils laissent passer des affirmations discutables sans même avoir le réflexe de les questionner – comme pour ces « 57% de médecins ». De ce point de vue, l’ensemble des médias ont une vraie responsabilité dans cette crise du Covid 19 et s’ils ont un rôle, une fonction, c’est bien de ne pas alimenter les peurs et les croyances.

NB : j’ai bien conscience qu’en « attaquant » ainsi le Pr Raoult, je vais m’attirer la foudre de ses partisans. Je ne suis pas le seul : Patrick Cohen sur France 5, Christian Lehmann dans Libération, Medicus sur Twitter (pour ne citer qu’eux), se livrent eux aussi à ce travail nécessaire de décryptage et de pédagogie. Je crois savoir qu’ils le payent cher sur les réseaux sociaux. Cela ne les empêche pas, et c’est heureux, de continuer. Pour ma part, dorénavant, toute réaction susceptible d’entrainer des poursuites judiciaires (insulte, menace, appel à la haine…) fera systématiquement l’objet d’une plainte auprès des autorités compétentes.