Médicaments : comment rétablir la confiance

Nommer un(e) « Monsieur/Madame Médicament » : c’est l’une des propositions du rapport sur « l’amélioration de l’information des usagers et des professionnels de santé sur le médicament », remis cette semaine à Agnès Buzyn. Coordonné par Gérald Kierzek (médecin) et Magali Léo (association Renaloo), ce rapport constitue une synthèse fort complète, critique quand il le faut, pragmatique le plus souvent et bourrée de recommandations concrètes qui, je l’espère, seront suivies d’effet…

Ce travail dresse en tout cas un réquisitoire sévère – et juste, hélas – de la gestion de la crise du Lévothyrox par les autorités sanitaires. Je ne reviendrai pas ici sur le constat (manque d’anticipation, absence de réactivité, mauvaise gestion du temps, communication désastreuse et j’en passe). Ni sur la plupart des préconisations de bon sens : créer une plate-forme unique d’informations, intégrer davantage les associations dans les processus de décisions, mieux prendre en compte les signalements de patients.

Je m’interroge en revanche sur l’idée de confier à l’ANSM la mise en place de ces réformes. Car enfin, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) est justement l’organisme qui, dans l’affaire du Lévothyrox, a fait la preuve éclatante… de son incompétence. Il n’est qu’à voir son système de déclaration des effets indésirables : les médecins le jugent lourd et inadapté, et les patients ne savent pas où effectuer leurs signalements. Pire, quand ils y parviennent, ils n’obtiennent pas de réponse – faute, précise la mission, « d’interlocuteur identifié pour traiter ces remontées ou les orienter ». Bref, l’ANSM ne fait pas son travail. Et lorsqu’elle se réveille enfin, c’est pour mettre en doute la parole des patients, victimes selon elle d’un inédit « effet nocebo » généralisé. Ou pour envoyer des courriers co-signés avec le laboratoire concerné – « ce qui décrédibilise le message et atténue sa dimension sanitaire et officielle », note le rapport.

Quant à la communication de l’ANSM vers le grand public, notamment à travers les médias, elle date du siècle précédent : conférences de presse organisée en catastrophe, communiqués rédigés sous la pression, réponses au compte-goutte aux journalistes. Mais peu, voire pas de présence sur les réseaux sociaux. Un comble quand on sait à quel point Internet véhicule rumeurs et contre-vérités sur les médicaments. Le ministère de la Santé ne s’y est pas trompé : l’hiver dernier, au moment de la polémique sur les vaccinations obligatoires, il a fait appel à deux YouTubeurs pour contrecarrer les anti-vaccins.

Résultat : leurs vidéos ont été vues 280 000 fois en moins de 24 heures. Et pendant ce temps-là, le compte twitter de l’ANSM comptabilise 12 600 abonnés, autant dire une misère. Sans oublier ses 80 abonnements – dont 80 Agences d’État et aucune association d’usagers de santé. Cherchez l’erreur… Rien d’étonnant, dès lors, que l’ANSM ait un niveau de notoriété pitoyable : sept ans après sa création, à peine un généraliste sur deux connait son existence.

Faute d’un changement de culture radical et d’une augmentation conséquente de ses moyens financiers et humains, l’ANSM risque donc d’avoir quelque difficulté à remplir ses nouvelles missions. C’est regrettable. Dramatique même, au regard de la confiance à rétablir que je mentionnais en titre de ce post. Certes, tout n’est pas (encore) fichu : individuellement, l’immense majorité des Français conservent une grande confiance dans leur médecin personnel. De même, ils sont 85% à avoir confiance dans les médicaments qu’ils prennent – plus précisément, ils sont 85% à être convaincus de leur efficacité.

En revanche, dès que l’on sort de la sphère privée pour aller sur une dimension collective, c’est un sentiment de défiance qui prévaut. Défiance des autorités sanitaires envers les professionnels de santé (dont les prescriptions sont contestées) et des professionnels envers les autorités (dont les recommandations de bonne pratique ne sont pas respectées). Défiance des patients envers les autorités (dont la parole officielle est mise en doute) et des autorités sanitaires envers les patients (dont les signalements sont ignorés). Défiance des professionnels entre eux (médecins et pharmaciens, spécialistes et généralistes, hospitaliers et libéraux etc.) et des autorités sanitaires entre elles (HAS, DGS, ANSM etc.). Sans oublier, bien entendu, une défiance globale et partagée envers ceux qui restent, aux yeux de tous, les seuls coupables : les industriels du médicament.

Je ne pense pas avoir d’indulgence excessive pour les laboratoires pharmaceutiques. Mais ceux-ci ont beau jeu de rappeler la réalité qui s’impose à eux, en l’occurrence une interdiction formelle de s’adresser directement à leurs « clients », c’est-à-dire les patients. A lire le rapport Kierzek-Léo, la majorité des experts interrogés ne souhaite pas revenir sur cette interdiction. Pourquoi pas. Mais qu’on n’aille pas reprocher à Merck de ne pas avoir communiqué sur le changement de formule du Lévothyrox. Et, surtout, qu’on donne enfin aux structures publiques les moyens d’informer correctement les usagers de santé. Faute de quoi, la défiance générale vis-à-vis des labos risque fort de s’étendre à tous les acteurs. Au détriment de la santé publique. Et pour le plus grand bénéfice des paranoïaques et des charlatans de la médecine.