La santé aux mains des lobbies en France ?
Ce fut donc la goutte d’eau qui a mis le feu aux poudres – ou l’étincelle qui a fait déborder le vase, comme on voudra. Trêve de jeu de mots, je veux bien entendu parler de la démission de Nicolas Hulot. Et de la présence d’un lobbyiste des chasseurs à une réunion de travail avec le ministre de l’Écologie, présence qui fut le facteur déclenchant de sa décision. De fait, des lobbies, Nicolas Hulot a dû en croiser beaucoup au cours de ces quinze derniers mois – et, plus généralement, tout au long de son combat pour défendre la nature. Celui du nucléaire par exemple, véritable État dans l’État capable d’imposer la poursuite du programme EPR malgré des perspectives désastreuses. Celui de l’agroalimentaire à travers l’ANIA (association nationale de l’industrie alimentaire), pour mettre toujours plus de sel, de sucre et de gras dans les aliments préparés. Sans oublier le lobby des pesticides, dont le cynisme va jusqu’à l’acronyme qu’il s’est choisi : « UIPP », pour « Union des industries de la protection des plantes » !
`Ne soyons pas naïfs : l’activité de lobbying a toujours existé et elle a encore de beaux jours devant elle. En soi, d’ailleurs, elle ne présente pas nécessairement de caractère honteux. Après tout, quand des usagers d’un TER lancent une pétition parce que leur ligne est menacée de fermeture dans leur région, qu’ils écrivent à leur député ou alertent les médias, ils se battent pour conserver ce qu’ils considèrent comme un bien commun, fût-il en réalité tout à fait particulier.
Dans le domaine de la santé aussi, les lobbies existent. Certains défendent un mode d’exercice (Ies syndicats de médecins libéraux), d’autres une spécialité (urgentistes, radiologues…). Certains promeuvent les cliniques, d’autres, les hôpitaux (mais comme rien n’est simple, ils sont deux, FHF et FHP, public d’un côté, privé de l’autre !). Tous veulent faire valoir leur intérêt, bien convaincus de la justesse de leurs combats.
Mais le lobbying n’est pas l’apanage de professionnels âpres au gain ou à la sauvegarde de leurs avantages catégoriels. Après tout, quand une association de patients réclame la mise à disposition de nouveaux traitements, que fait-elle, sinon du lobbying ? Du sida à l’hépatite C en passant par certains cancers, la liste est longue et, le plus souvent, les pouvoirs publics cèdent à la pression. Bien ou mal, on peut évidemment s’interroger sur la pertinence de telles exigences, en particulier pour des médicaments hors de prix, mais le fait est là. Or, c’est le rôle des autorités sanitaires, justement, de résister à des demandes infondées. En s’appuyant sur des données objectives, en faisant un réel effort de pédagogie, en rappelant les règles de bon usage des médicaments notamment. Pour le meilleur parfois (le déremboursement récent des anti-Alzheimer) et souvent pour le pire (le maintien dans la liste de molécules à simple effet placebo).
Ce n’est donc pas tant l’existence de ces lobbies qui pose problème que les contre-pouvoir. Ou, plus précisément, l’absence éventuelle de contre-pouvoir. En l’occurrence, si l’État semble bien décidé à s’attaquer aux conséquences du tabac, y compris en mécontentant les buralistes, on ne peut pas en dire autant de l’alcool. J’ai déjà dit dans un post précédent ma déception profonde, ma colère même devant la coupable indulgence dont fait preuve Emmanuel Macron face aux viticulteurs. Mais il y a plus grave. En cédant ainsi outrageusement à ces corporations, chasseurs et vignerons, le Président de la République envoie un fort mauvais signal : l’idée que la santé environnementale et la santé en général pourraient être dictées par les lobbies.
Voilà en effet qui va nourrir un peu plus encore la paranoïa d’une partie de la population, déjà convaincue que sur ces sujets, « on nous cache tout, on nous dit rien ». Un exemple ? L’un des principaux arguments des anti-vaccinaux est celui-ci : en réalité, Agnès Buzyn a cédé à la pression de l’industrie pharmaceutique, et l’extension des vaccins obligatoire n’a rien à voir avec la santé publique, tout à voir avec le lobby des labos. C’est faux bien évidemment (au passage, je rappelle que les vaccins comptent pour une toute petite part dans les bénéfices des Big Pharma) mais l’idée est assez séduisante pour marquer les esprits. Et alimenter la suspicion générale. C’est ainsi : en matière de lobbying, les anti-vaccins sont autrement plus efficaces que les labos.