J’ai honte pour la France

J’ai honte. Oui, j’ai honte pour notre pays, patrie des Droits de l’Homme. J’ai honte qu’en France, les résidents de certaines maisons de retraite soient traités comme des moins que rien. Mal nourris. Mal soignés. Assommés de médicaments. Rudoyés par un personnel souvent débordé. Abandonnés, des heures durant, dans des couches qui débordent de merde (désolé si je choque).

Et comme si ça ne suffisait pas, l’épidémie de Covid les a plongés dans un isolement total des semaines, des mois durant. Combien de résidents consignés dans leur chambre 24 heures sur 24 ? Combien d’entre eux alimentés par un plateau repas déposé devant leur porte, sans une seule parole échangée ? Combien de familles interdites de visites au motif qu’elles seraient porteuses du virus – comme si les salariés des EHPAD étaient tous vaccinés, ou miraculeusement épargnés par le Covid.

Dans un post de blog publié en avril dernier, je disais mon incompréhension devant l’attitude inhumaine de certains directeurs d’établissements prêts à enfermer des personnes âgées, fragiles. Les uns au nom du principe de précaution, les autres par commodité, par manque de personnel voire, pire encore, juste parce qu’ils en avaient le pouvoir.

Dans ce post, j’évoquais également le sentiment de révolte d’un ami, Benoit Péricard, dont la belle-mère avait été placée dans un EHPAD. Depuis, Benoit a écrit un texte où il raconte cette expérience dramatique. Publié sur le site de LISA (Laboratoire d’idées Santé Autonomie, un think tank dont je suis membre), ce témoignage mérite d’être lu.

Un exemple parmi d’autres de cet « isolement par l’absurde » pratiqué dans l’établissement : au cours d’une des rares visites autorisées, sa petite-fille, désemparée devant les pleurs de sa grand-mère de 94 ans, se permet ô sacrilège de la prendre dans ses bras quelques instants. La sentence tombe, sans appel : « Ne recommencez pas ! Sinon, à cause de comportements comme le vôtre, on va être obligés d’interdire toute nouvelle visite ».

Tout ce que raconte Benoit est proprement, si j’ose dire, scandaleux. Un après-midi, constatant que sa mère a un besoin pressant d’être changée, la femme de Benoit demande à un salarié de l’EHPAD de lui mettre une nouvelle couche. Réponse : « Désolé, ce n’est pas mon équipe ». Elle retente sa chance avec un autre salarié. Autre réponse : « Elle va d’abord diner. Mais rassurez-vous, elle sera la première à être changée après le repas. »

Cette histoire de couches est tout sauf anodine. Dans un livre publié aujourd’hui et dont Le Monde a cité de larges extraits (« Les fossoyeurs », par Victor Castanet), son auteur s’intéresse à Orpea a, le leader mondial de la prise en charge de la dépendance avec 1 100 établissements et plus de 65 000 employés. Il y explique que le rationnement des couches est une volonté de la direction générale, et qu’il est imposé dans la totalité des EHPAD qu’Orpea dirige.

Trois couches par personne donc, pas une de plus – et, si possible, encore moins. Tant pis si le résident reste dans sa pisse et dans sa merde toute une après-midi. Vu les tarifs pratiqués dans certaines résidences d’Orpéa, on peut le comprendre … Pensez donc : 6 500 euros par mois « Aux bords de Seine » à Neuilly par exemple, pour une chambre de 20 mètres-carré, jusqu’à 12 000 euros pour une suite ! A ce prix-là, il est normal d’économiser sur les couches.

Dans son livre, Victor Castenet explique avec force détails l’obsession de rentabilité du groupe, les économies de bouts de chandelle réalisées partout où c’est possible, le recours privilégié aux vacataires, le management « à la chlague » des hauts cadres vis-à-vis des salariés. Car dans la plupart des cas, ces derniers subissent des conditions de travail impossibles. Manque de temps, manque de moyens, le personnel est pressuré en permanence. Et si maltraitance il y a, elle est plus souvent institutionnalisée qu’individuelle.

Le scandale ne date pas d’hier. Certes, les pouvoirs publics ne sauraient être tenus pour responsables de la totalité des problèmes. Certes, l’épidémie de Covid a embolisé le système et aggravé la situation. Il n’empêche : dans un pays évolué comme le nôtre, prospère, où les euros ont été débloqués par milliards pour sauver l’hôpital, on attend toujours le vote de la loi Grand Âge promise par Emmanuel Macron en 2017. Nos ainés sont des usagers de santé comme les autres, ils ont droit au respect de leur dignité comme les autres.

L’urgence est là. Nous sommes tous concernés. Nous sommes tous, potentiellement, les ainés de demain.


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