« Vous, les externes, vous êtes des chiennes ! »

« Vous avez volé la place d’un homme en faisant médecine ».

Ca paraît dingue, mais nous sommes en 2021 et voilà le genre de propos qu’un docteur ose balancer à la tête d’une future doctoresse. A croire que la vague Me Too n’a toujours pas franchi les portes de l’hôpital. A croire qu’on peut avoir fait onze ans d’étude, se penser comme l’élite des professions de santé, et être aussi misogyne qu’un Pierre Ménès ou un Donald Trump – pour ne prendre que deux exemples récents.

Cette phrase provient d’une enquête, réalisée par l’ANEMF (association des étudiants en médecine de France) en avril dernier auprès de 4 500 externes. Pour mémoire, les études en médecine comportent trois cycles : le tronc commun au début, l’internat à la fin et, entre les deux, l’externat – trois ans comme « étudiant hospitalier », à mi-temps à la fac et à mi-temps à l’hôpital, le tout royalement payé entre 260 et 390 euros bruts mensuels…

Mais elles ont beau être aujourd’hui largement majoritaires (70% des inscrits en première année), les femmes continuent de subir un machisme si répandu que l’on peut se demander s’il n’est pas accepté, voire encouragé par l’institution elle-même. Qu’on en juge : la moitié des étudiantes entendent régulièrement tout un tas de remarques sexistes. Sur leur physique, leur coiffure, leur tenue vestimentaire et j’en passe. La moitié des femmes donc (plus précisément, 49,7%) contre à peine 12% des hommes. Et ce, sans que personne ou presque trouve apparemment quelque chose à y redire.

Un cran au-dessus de ces réflexions toujours désagréables, donc plus grave, il y a le harcèlement sexuel défini, je le rappelle, comme « des propos ou des comportements à connotation sexuelle répétés à caractère dégradant ou humiliant ». Et là encore, le pourcentage de femmes concernées interroge : près de 40%, contre 10% des hommes « seulement ».

Est-ce parce que neuf fois sur dix ce harcèlement est le fait d’un supérieur hiérarchique et qu’il n’est jamais simple de dénoncer une personne qui a du pouvoir sur vous ? Ces actes répréhensibles sont en tout cas rarement signalés (15%), soit que les victimes aient peur des retombées (24%), soit qu’elles craignent que cela ne serve à rien (38%).

Et, de fait, elles n’ont pas tort … Car dénoncer un harceleur auprès des autorités compétentes, c’est prendre de vrais risques : au pire, des mauvaises notes et donc un stage non validé et, à minima, une image d’emmerdeuse, de fille qui n’a pas le sens de l’humour – réputation susceptible de vous suivre jusqu’à la fin de vos études et même d’entacher votre carrière à l’hôpital.

J’exagère ? Malheureusement pas. En novembre 2017 déjà, l’ISNI, le syndicat des internes à l’hôpital, relevait une « différence significative » de l’accès aux postes de recherche pour les victimes de sexisme. Une double peine en quelque sorte : non seulement ces femmes le subissent, mais en plus on leur fait payer ces violences imposées.

Résumons : faire ses études de médecine quand on est une femme, cela veut dire être capable d’endurer régulièrement – et sans se plaindre ! – des remarques sexistes, du harcèlement sexuel voire un quasi chantage. Comme cette interne que son chef avait prévenue : « Tu n’as pas le droit de tomber enceinte tant que tu es dans mon service » ainsi que je le racontais dans un précédent post de blog.

Pour se défendre, ou simplement pour tenter de trouver des explications, certains invoquent tour à tour la dureté du métier, la pression permanente, les enjeux de vie et de mort auxquels est confronté tout professionnel de santé à l’hôpital. J’en conviens, tout cela est vrai – au moins en partie. Le problème, c’est que le harcèlement n’arrive pas seulement à l’hôpital. Il survient aussi à la fac où je le rappelle, les externes passent la moitié de leur cursus. Et pas qu’un peu : 40% des femmes (et 12% des hommes) en sont victimes. C’est-à-dire le même pourcentage ou quasi …

Quant aux agressions sexuelles, à la fac elles sont monnaie courante : près d’une femme sur cinq (18,7%), près d’un homme sur dix (8,7%) disent en avoir vécu au cours de leurs études. Des chiffres d’ailleurs largement sous-estimés, puisque selon l’enquête de l’ANEMF, un(e) étudiant(e) sur quatre connaît au moins une personne victime d’agression, perpétrée dans la quasi-totalité par un autre étudiant.

Bref, quelles que soient ses formes (plaisanteries grasses, propos malvenus, gestes déplacés, violences physiques), le sexisme au quotidien commence très tôt, dès la fac. Il se poursuit très tard, jusque dans la carrière hospitalière. Et je ne peux que souscrire à la conclusion de l’étude de l’ANEMF : « L’omerta a assez duré. Brisons la ensemble »

Quelques témoignages

« Un chef de service a dégrafé le soutien-gorge d’une amie en bloc opératoire à travers sa tenue de bloc »

 « Un infirmier soulève mon haut pour regarder mon tatouage situé sous le sein alors que j’avais catégoriquement refusé de le lui montrer »

« J’ai connaissance d’une senior des urgences connue pour faire du harcèlement (…) La fait que par ailleurs elle soit un bon médecin avait l’air de lui conférer un totem d’immunité »

« Avant-dernier jour de stage. Une amie obtient la note de 9,5 sur 10. Le lendemain, elle demande à son chef ce qui lui manquait pour avoir 10. Réponse : s’habiller sexy »

« Humiliation durant une visite professorale au sujet de ma vie sexuelle et, plus précisément je cite de mon manque d’expérience sexuelle »

Quelques citations

« Vous, les externes, vous êtes des chiennes »

« On manque de femmes pour ranger les dossiers »

« Une femme c’est faible, ça ne mange que de la salade » (un prof en amphi)

« Le problème de la médecine, c’est les femmes » (un prof en amphi)