Déconfinement : mode d’emploi
Quand, et surtout comment le gouvernement va-t-il organiser le déconfinement ? Alors que le confinement a été instauré il y a 18 jours et qu’il est appelé à durer encore plusieurs semaines, la question est déjà dans tous les esprits.
« Il est probable que nous ne nous acheminons pas vers un déconfinement général et absolu, en une fois, partout et pour tout le monde » : l’aspect alambiqué de la formule d’Edouard Philippe, réputé d’ordinaire pour son« parler cash », en dit long sur le degré d’incertitude qui règne aujourd’hui. Essayons d’y voir plus clair.
Pourquoi une telle annonce dès maintenant ?
Depuis le début de l’épidémie de Covid 19, les pouvoirs publics ont fait le pari de la transparence. En tout cas, de la plus grande transparence possible sur les mesures prises et imposées aux Français – car sur des sujets plus sensibles tels que la pénurie de masques par exemple, il faut bien reconnaître que cet effort de transparence trouve ses limites.
Il s’agit donc de préparer l’opinion publique à une perspective peu réjouissante, à savoir que le déconfinement va se faire de façon très progressive. Cette stratégie est d’ailleurs dans le droit fil des déclarations successives sur la durée du confinement : plutôt que d’annoncer les mauvaises nouvelles d’un seul coup, le gouvernement préfère procéder par étapes.
Cette méthode comporte un risque, celui de se voir reprocher un manque de lisibilité. Certains responsables politiques ne s’en privent déjà pas, Marine Le Pen en tête, en l’accusant de « mentir délibérément aux Français ». Pour ma part, ainsi que je l’expliquais dans un post précédent, j’y vois plutôt une volonté de faire de la pédagogie anticipatrice : plus les mesures contraignantes à venir seront comprises et intégrées, plus elles seront respectées.
Pourquoi le déconfinement sera nécessairement progressif ?
Le risque principal d’un déconfinement total et rapide est celui d’un effet rebond – un phénomène bien documenté dans les épidémies virales précédentes. Concrètement, le danger est qu’une fois les contraintes levées la population se sente en sécurité et que, du coup, elle délaisse toutes les mesures de précaution respectées jusque-là. Résultat : le virus recommence à circuler et infecte tous ceux qui avaient échappé à la première vague.
Or, dans le cas du Covid, ce risque est particulièrement élevé. Plusieurs raisons à cela : une durée d’incubation longue (deux semaines, voire davantage), des signes cliniques extrêmement divers et peu spécifiques (toux, fatigue, courbatures…) et, surtout, des personnes potentiellement contaminantes sans même en avoir conscience. Les enfants, en particulier, seraient des vecteurs importants de l’épidémie alors qu’ils semblent relativement protégés par les conséquences d’une infection.
Quelles sont les conditions préalables à la levée du confinement ?
La première, qui conditionne tout le reste, c’est le respect préalable du confinement ! Tant qu’une partie de la population ne s’y conformera pas, l’épidémie continuera son inexorable progression et le confinement restera la règle.
La deuxième est plus objective et plus facile à mesurer : c’est le taux d’occupation des services de réanimation. Ils sont aujourd’hui sur-saturés. Il faut donc qu’un certain nombre de places soient à nouveau disponibles, pour parer à une éventuelle reprise, même faible, de l’épidémie.
La troisième condition, c’est de disposer d’une quantité suffisante de tests fiables – et notamment de tests sérologiques, puisque les prélèvements effectués dans les narines donnent parfois de faux négatifs. En effet, avant d’envisager le déconfinement il sera nécessaire de savoir avec précision qui a été contaminé et, donc, qui a été immunisé. On peut imaginer que, dans un premier temps, seules ces personnes-là pourraient être autorisées à sortir.
Quatrième et dernière condition, enfin : avoir suffisamment de masques pour que tout le personnel travaillant dans des établissements de santé (y compris les non-soignants, y compris dans les EHPAD) en aient à disposition. Dans l’idéal, il faudrait même que l’ensemble des Français y aient accès.
Qui sera d’abord concerné par le déconfinement ?
Quelle que soit l’ampleur de la levée, elle est conditionnée par ce que les spécialistes appellent le degré d’immunisation collective. Pourquoi ? Parce que dès lors qu’une partie importante de la population (50% ? 80% ? Cela reste à déterminer) est immunisée, le virus ne « trouve » pas assez de gens pour se répandre et, donc, l’épidémie s’éteint progressivement et spontanément.
On comprend, dès lors, les précisions apportées hier par Edouard Philippe : dans un premier temps, le déconfinement pourrait ne pas être autorisé sur l’ensemble du territoire mais uniquement dans les régions où l’immunité collective a atteint ce seuil critique – le Grand Est avant l’Ile-de-France, la région parisienne avant PACA etc. Ce qui suppose, au passage, que la circulation de la population d’une région à une autre soit interdite ou, à tout le moins, fortement limitée. Y compris, éventuellement, pendant la période des vacances d’été.
Autres critères possibles : l’âge et l’état de santé général. Là encore, rien n’est décidé mais on pourrait envisager que les populations les plus à risques (personnes âgées, fragiles sur le plan respiratoire, avec des comorbidités etc.) soient confinées plus longtemps que les autres.
Concrètement, comment pourrait se passer ce déconfinement ?
Le mode de sortie du confinement découle de tout ce que je viens d’expliquer.
Il sera progressif et très encadré.
Sur le plan individuel, plusieurs facteurs seront pris en compte et additionnés les uns aux autres : géographiques, démographiques, sanitaires etc.
Viendront sans doute s’ajouter à tout cela des critères psycho-sociaux. Les personnes qui souffrent le plus d’isolement (pensionnaires en EHPAD, personnes atteintes de troubles psychiatriques ou autres) pourraient bénéficier en priorité d’une levée progressive. Non pas en les autorisant à sortir, mais plutôt en autorisant des visiteurs à venir les voir. Avec, bien entendu, un dépistage préalable et dans le respect des mesures d’hygiène.
Sur le plan collectif, il y aura des considérations économiques : plus une activité est importante pour la bonne marche du pays, plus elle bénéficiera de dérogations.
Sur un plan plus général, on pourrait envisager l’ouverture progressive de certains commerces à la condition qu’ils instaurent des mesures barrière efficaces – par exemple, en limitant le nombre d’entrées et en garantissant un espace suffisant entre les clients. Je songe là aux restaurants, cafés et autres lieux de vie collective.
Quant aux événements plus larges, tels concerts, spectacles ou rassemblements sportifs, il est à craindre que ce soient les derniers à bénéficier de la levée du confinement.
Quand reviendra-t-on à une vie « normale » ?
Avant l’été ou après la rentrée de septembre ? Dans trois mois ou six mois ? Impossible à prédire. Cela dépend avant tout de la façon dont nous nous comporterons. Individuellement et collectivement. Autrement dit : demain sera ce que nous faisons aujourd’hui.