Dry January : bonne ou mauvaise idée ?


Santé publique ou liberté individuelle ? Hédonisme ou moralisme ? Intérêt général ou poids des lobbies ? Je veux parler ici du Dry January, cette initiative lancée par des associations de lutte contre les addictions en direction du grand public.
Pour ceux qui auraient échappé à la polémique qui fait rage depuis novembre dernier, voici un petit résumé des épisodes précédents. En commençant par le commencement, c’est-à-dire en rappelant ce qu’est le Dry January, une idée qui, en elle-même, fait déjà débat. Pour les uns, c’est une injonction à ne pas avaler une goutte d’alcool durant tout le mois de janvier. Pour les autres, c’est une incitation à modérer sa consommation durant cette période – ou, à tout le moins, à faire un point avec soi-même sur son rapport à l’alcool.
Paradoxalement, la définition la plus dogmatique est uniquement le fait du lobby de l’alcool, qui présente le Dry January comme une condamnation définitive et sans appel de toute consommation. Les associations, elles, adoptent un discours plus mesuré en insistant sur le caractère pédagogique de la proposition. Ce qui n’empêche pas certains de se déchainer sur les réseaux sociaux, comme ce tweet que j’ai repéré la semaine dernière : « Après le mois sans tabac, le mois sans alcool et pourquoi pas demain le mois sans sexe ? Ras-le-bol de de ces interdictions bien-pensantes ! »
On voit bien l’enjeu sous-jacent, qui consiste pour le lobby alcoolier à déplacer le curseur vers une question morale. Et à faire de Fédération Addiction, à l’origine du Dry January, une espèce d’ayatollah hygiéniste et absolutiste, à la juger et à condamner comme telle. Or, si « le jugement est l’expression de nos besoins non satisfaits », pour reprendre la formule d’un de mes profs à HEC, il émane du lobby de l’alcool et pas des associations. Car dans les faits, Michel Reynaud, psychiatre et président du Fonds actions addictions, ne juge pas, ne condamne rien. Il est même on ne peut plus clair : « Nous promouvons la liberté, c’est-à-dire le choix pour les gens de ne pas boire s’ils le souhaitent ». Il faut croire pourtant que le simple appel à la liberté individuelle peut déranger certaines personnes… Quitte à en motiver d’autres.
Prenons un exemple au hasard, vraiment au hasard : moi-même ! Lorsque j’en ai entendu parler pour la première fois, en 2018, je me suis dit au début « Ouais… bof… ça c’est pas pour moi ». Puis j’ai pensé « Après tout, pourquoi pas si ça peut aider les gens ? ». Et aussi « Tiens, le moment est bien choisi pour faire un break. Un jour peut-être… ». Et cette année, j’ai décidé de tenter le coup. En prenant au pied de la lettre l’esprit du Dry January , qui laisse précisément chacun libre de la façon de le vivre, l’essentiel étant de s’interroger sur son comportement. En ce qui me concerne, ce sera donc un « semi Dry » : non pas renoncer jusqu’en février de boire ne serait-ce qu’un verre de vin, mais simplement être attentif à ma consommation. Éviter par exemple le fameux « un dernier pour la route » si franco-français. Et boire, « en conscience », ce que j’ai envie de boire, si j’en ai envie, quand j’en ai envie.
Pour être tout à fait honnête, ma décision a été en partie renforcée par ma lassitude, voire mon agacement face à la mauvaise foi des lobbies de l’alcool. Renforcée également une tribune parue dans le Figaro, signée par quelques people tels que Pierre Arditi, Katherine Pancol ou Cyril Lignac, dénonçant je cite « une toquade anglo-saxonne puritaine ». Et ce, pour diverses raisons : non ce n’est pas une tocade, non ce n’est pas puritain et oui, en Angleterre en particulier, le binge drinking, ce mode consommation qui consiste à boire le plus et le plus vite possible jusqu’à l’ivresse complète ou le coma, le binge drinking donc fait des ravages.
La France non plus n’est pas épargnée : selon une enquête de l‘ODFT de 2017, près d’un jeune sur deux âgé de 17 ans a connu au moins une « alcoolisation ponctuelle importante » au cours du mois précédent. Et je ne parle même pas des récits que me font mes deux enfants, Louise et Joseph, 23 et 21 ans, tous deux en écoles de commerce, de leurs soirées sponsorisées par l’industrie de l’alcool ou organisées par les associations d’élèves avec des tarifs de consommation plus qu’attractifs – trois euros la bière ou le shoot de vodka.
Enfin, l’attitude de nos décideurs politiques n’est pas pour rien non plus dans ma décision de faire le Dry January. Une attitude déplorable, voire irresponsable. Celle d’Agnès Buzyn tout d’abord, ministre de la Santé et médecin, qui refuse d’apporter son soutien aux associations. Et qui affirme, au mépris de la vérité, que le gouvernement n’a jamais eu l’intention de le faire alors que Santé Publique France avait bel et bien prévu un plan d’accompagnement officiel. Emmanuel Macron surtout, président de la République et soutien sans faille du lobby de l’alcool. J’ai déjà eu l’occasion, dans un post de blog précédent, de dénoncer ses propos malvenus sur le thème « Je bois du vin midi et soir ». Emmanuel Macron qui promet aux viticulteurs, en novembre dernier, qu’il s’opposera au Dry January. Et qui semble en être fier.
Monsieur le Président, cette attitude n’est digne ni de votre personne ni de vitre fonction. vous devriez rencontrer des médecins spécialistes de la question. Ils vont expliqueront mieux que moi les ravages de l’alcool chez les jeunes. Vous devriez rencontrer des juges, des avocats, ils vous décriront mieux que moi les conséquences de l’alcool sur notre société. Vous devriez rencontrer des familles endeuillées par des chauffards ivres qui ont pris le volant et tué des enfants, des parents. Elles vous raconteront mieux que moi la douleur qui est la leur. Et peut-être, un jour, changerez-vous de discours.