Quel est le vrai impact d’une crise économique sur la santé ?

Je ne vous apprendrai rien en affirmant que la crise économique a des effets sur la santé publique, en particulier chez les citoyens les plus fragiles (chômeurs, personnes âgées etc.). Mais quels effets précisément ? Et avec quelles conséquences ? Curieusement, les économistes ne se sont pas beaucoup penchés sur le sujet, et quand ils l’ont fait, c’était pour en tirer des conclusions générales et pour tout dire pas vraiment ébouriffantes.

Récemment, je suis tombé sur une étude passionnante d’un chercheur en sciences sociales – pas en économie (ceci explique peut-être cela). Cet homme s’appelle David Stuckler, il enseigne à l’Université de Bocconi, en Italie et il s’est penché sur deux exemples antagonistes, la Grèce et l’Islande. Sa conclusion est étonnante : en matière de santé, les conséquences d‘une récession économique dépendent certes de l’ampleur de la crise elle-même – on s’en doutait un peu – mais elles dépendent encore plus de l’attitude des gouvernements.

Démonstration. En 2010, trois organismes internationaux (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international, le FMI) prescrivent à la Grèce un plan d’austérité particulièrement sévère. Parmi les mesures mises en œuvre, une réduction de 40% de l’ensemble des dépenses de santé, imposée sans discernement ni délai. Les programmes nationaux de lutte contre le VIH (distribution gratuite de seringues et de préservatifs notamment) sont brutalement interrompus. Les municipalités coupent leurs budgets d’environnement (assèchement des zones humides), les régions n’assurent plus de suivi post-natal. Bref, tout ce qui ressemble de près ou de loin à une politique de prévention n’est plus financé.

Les conséquences ne se font pas attendre. Pour la première fois depuis quarante ans, le paludisme ressurgit dans les campagnes et certaines grandes villes. En trois ans à peine, la mortalité infantile augmente de 40%, et celle des décès par suicide de 45%. Par ailleurs, le taux de dépression majeure dans la population est multiplié par 2, et celui des nouvelles contaminations par le VIH est multiplié par 30.

A la même époque, un autre pays traverse une récession économique sans précédent, l’Islande. Dans cette ile, les banques privées, impactées par la crise des subprimes aux Etats-Unis, subissent des pertes énormes et l’économie nationale s’effondre. Le FMI exige alors de l’Etat qu’il assume la responsabilité de ces pertes et qu’il les compense en reversant la moitié du revenu national ! Par ailleurs, le FMI impose une politique d’austérité draconienne dont les conséquences sont lourdes pour la population : chute vertigineuse de la valeur de la couronne nationale, flambée des prix des importations, forte réduction des revenus.

Et pourtant, cette crise économique n’a eu que très peu d’impact sur la santé des habitants. Pourquoi ? Parce que l’Etat islandais a fait exactement l’inverse du gouvernement grec. Il a multiplié par trois le budget de la santé ; il a investi dans la protection sociale ; il a encouragé la création d’emplois, en particulier dans les métiers d’aide à la personne. Enfin, les Islandais se sont unis autour de leur Président qui s’était opposé publiquement aux dictats du FMI.

Autre effet, beaucoup plus inattendu celui-là : la santé des citoyens s’est globalement améliorée. En effet, durant cette crise, McDonald’s a fermé ses établissements à cause de la hausse du coût des importations d’oignons et de tomates (les ingrédients les plus chers de ses hamburgers !). Conséquence, les Islandais ont revu leur régime alimentaire et mangé davantage à la maison, du poisson notamment – ce qui a eu pour autre résultat positif de relancer les revenus de la flotte du pays.

En définitive, les effets sur la santé se sont résumés à une augmentation des urgences cardiaques – pendant une semaine, pas plus. Les suicides n’ont pas augmenté, la mortalité non plus, l’accès aux soins n’a pas connu de réductions particulières et le système de soutien familial local a permis de limiter l’impact de la baisse globale des revenus.

Seul symptôme préoccupant : en trois ans, le nombre de patients asthmatiques a connu une hausse sensible. Des chercheurs se sont penchés sur le phénomène et ils ont fini par trouver la bonne explication : c’était la faute… à l’éruption du volcan Eyjafjallajokull en 2010 !