Plan Santé: tous contre Buzyn !

Que s’est-il passé ? Oui, que s’est-il passé depuis quatre mois pour que les professionnels de santé passent de la confiance à la défiance, du soutien à la critique ? Souvenez-vous : en septembre dernier, le grand chantier « Ma Santé 2022 » annoncé par Emmanuel Macron reçoit un accueil positif, chaleureux même de la quasi-totalité des acteurs concernés. Et voilà que, quelques mois plus tard, la loi présentée par Agnès Buzyn fait l’unanimité contre elle !

Établissements publics et privées, médecins en activité et étudiants, spécialistes et généralistes, tout le monde condamne un projet de loi mal ficelé, sans moyens adaptés, sans « vision » d’ensemble. La CSMF, principal syndicat, pointe plusieurs « points d’inquiétude » ; l’hôpital public (FHF) dénonce un plan « hospitalo-centré » et les cliniques privées « une ambition mise à mal par la baisse continue des tarifs hospitaliers ». Situation rare, même le Conseil de l’Ordre se joint aux protestations en déplorant un « manque de précision » global.

Bref, à les entendre, tout ou presque serait à jeter dans la démarche du gouvernement.

Sur le papier pourtant, le projet de loi qui sera présenté le 12 mars à l’Assemblée Nationale promet de nombreuses avancées : fin du numerus clausus, constitution de 1 000 CPTS (Communautés professionnelles territoriales de santé), création de 4 000 postes d’assistants médicaux, statut unique de praticien hospitalier, développement de la télémédecine et j’en passe. Et n’en déplaise à certains, ce projet de loi a le mérite de la cohérence, puisqu’il vise à lutter contre les déserts médicaux et à réorganiser l’offre de soins autour d’un triptyque maisons de santé/hôpitaux de proximité/CHU, à l’image de ce qui a été mis en place pour les naissances avec les maternités de niveau 1, 2 et 3.

Faire travailler ensemble professionnels médicaux et non médicaux, coordonner la ville et l’hôpital, assurer le bon niveau de soins aux patients en fonction de leurs attentes et de leurs besoins : difficile de ne pas souscrire à un tel objectif, aussi ambitieux que nécessaire. D’où vient alors cette réticence générale, perceptible chez la quasi-totalité des acteurs concernés ?

Le premier élément de réponse tient à la démarche même du gouvernement : on annonce le plan, on explicite la démarche, on fait voter la loi et… on renvoie à plus tard tous les aspects de mise en œuvre ! Des exemples ? Les CPTS et les assistants médicaux devront au préalable faire l’objet d’une concertation entre pouvoirs publics et syndicats de médecins – autant dire que la partie n’est pas gagnée, les premiers posant déjà leurs exigences et les seconds leurs conditions.

De même, des questions aussi sensibles que la recertification professionnelle, le statut des praticiens hospitaliers ou la labellisation des hôpitaux de proximité seront au final décidées par des ordonnances. Quant à la réforme des études médicales, elle se fera par décret. Parce qu’il faut aller vite, argue le gouvernement – ce à quoi les Universités répondent déjà que ça va trop vite et qu’elles n’y arriveront pas. En d’autres termes, tout semble déjà joué et rien n’est arrêté. On comprend, dans ces conditions, que tous les acteurs concernés se précipitent pour exiger leur part du gâteau.

Bref, comme souvent en matière de réforme de santé, chacun joue sa partition personnelle sous le même mode : je dénonce les limites du système actuel, je propose « ma » solution, je jure que je suis prêt à discuter mais je ne céderai rien ! C’est le grand bal des hypocrites : le cœur sur la main, les uns exigent qu’on augmente le nombre de praticiens ; mais ils préviennent que cela ne repeuplera pas les déserts médicaux (au nom du sacro-saint principe de la liberté d’installation). Les autres réclament des « subventions » supplémentaires pour les parcours de soins (prévention, maladies chroniques etc.) ; mais ils continuent à s’accrocher au principe du paiement à l’acte.

Il est vrai que, de leur côté, les pouvoirs publics ne montrent guère de lisibilité dans leurs projets. Il est tout aussi vrai que, pour leur part, usagers et élus ne montrent guère de cohérence dans leurs demandes, en exigeant en même temps sécurité, technicité et proximité. Comme si on pouvait avoir un généraliste par commune, un hôpital performant par circonscription et un CHU de pointe par département….

Il serait temps, enfin, de renoncer au mythe républicain d’un accès aux soins qui serait le même pour tous, partout et tout le temps. Ce mythe de « la France d’avant », de cette époque bénie (mais fictive) que ressassent à plaisir médecins, experts, politiques et usagers. Non, la France n’a jamais été égalitaire – en tout cas, sûrement pas complètement. En matière d’injustice, j’ai même le sentiment que les inégalités sociales se sont accrues depuis une vingtaine d’années à un rythme plus élevé que les inégalités de santé, et que les premières pèsent sur les secondes, pas l’inverse.

Je ne suis pas dans la tête d’Agnès Buzyn mais je sais une chose : le monde de la santé balance aujourd’hui entre révolte et désespoir. A tous les niveaux, dans tous les domaines. Paradoxalement, cela pourrait constituer une chance, la dernière. A condition de faire des choix courageux et assumés. D’embarquer tous les acteurs autour d’un projet commun. Et de faire preuve de pédagogie. Y compris en renonçant à l’égalité (donner la même chose pour tout le monde) pour privilégier une autre approche (donner plus à ceux qui ont moins). Cela s’appelle l’équité. Dans le monde d’aujourd’hui, c’est elle qui assure le ciment de la République. A sa juste place, entre liberté et fraternité.