Prix des médicaments : bientôt de nouvelles règles ?
Il était temps !… Oui, il était temps que les pouvoirs publics envoient quelques signes positifs aux laboratoires pharmaceutiques et plus encore, de façon générale, au monde de la santé. Ne serait-ce que pour atténuer les dernières annonces gouvernementales : le grand plan Pauvreté repoussé, la réforme de l’hôpital ajournée, une « Stratégie nationale de santé » floue voire incantatoire – sans compter la sortie présidentielle hasardeuse sur « le pognon de dingue » que l’on dépense en prestations sociales malgré l’absence de résultats … Bref, le chantier de la santé, dont Emmanuel Macron avait pourtant fait une priorité durant la campagne, semblait passer à la trappe.
C’est le Premier ministre qui s’y est collé mardi, devant le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Un discours très attendu par les entreprises qui ne cessent, à juste titre parfois, de dénoncer le retard de plus en plus préoccupant de la France vis-à-vis de ses concurrents européens. J’ai donc lu l’intégralité des propos d’Édouard Philippe, et j’en ai retenu des satisfecit, quelques motifs d’inquiétude, plusieurs annonces et un engagement nouveau et intéressant.
Côté réussites, il y a tout d’abord le rang que tient (encore ?) notre pays : premier investisseur public européen en matière de R&D en santé ; deuxième rang mondial pour les produits en développement en biotechnologies, troisième rang mondial en nombre de sociétés de biotech. Côté handicaps, des délais inacceptables pour les essais cliniques (51 jours de délai médian), la mise sur le marché d’un médicament (275 jours) ou d’un dispositif médical (500 jours en 2017 !).
Parmi les annonces du Premier ministre, trois au moins me semblent porteuses de progrès : l’« ATU » (Autorisation temporaire d’utilisation, mécanisme franco-français spécifique aux nouveaux médicaments) sera possible pour des extensions d’indications. Concrètement, un médicament contre le cancer du poumon va donc pouvoir être utilisé pour d’autres cancers sans que les labos aient à refaire toute la procédure. Deuxième annonce : la désignation d’un « mandataire unique », responsable de la gestion et de la valorisation de tout brevet déposé par une équipe de chercheurs. Trop souvent en effet, les labos publics ne se soucient pas assez des retombées financières et scientifiques de leurs découvertes. Enfin, Édouard Philippe a promis une augmentation de l’enveloppe budgétaire pour les médicaments : +3% sur trois ans pour les plus innovants, + 1% sur trois ans pour les autres.
Quant à l’engagement intéressant que je mentionnais un peu plus haut, il s’agit de la création d’un nouvel indicateur appelé « valeur thérapeutique relative » pour évaluer les produits de santé. Le Premier ministre n’est pas entré davantage dans les détails, mais on peut imaginer qu’il s’agit de revoir le mécanisme de fixation des prix des médicaments et des dispositifs médicaux.
La France se caractérise en effet par un système effroyablement complexe, quasi incompréhensible pour le profane. Sans entrer dans le détail, celui-ci fait intervenir plusieurs instances (Haute Autorité de Santé, Commission de transparence, Comité économique des produits de santé) selon plusieurs critères (amélioration du service médical rendu, intérêt pour la santé publique, niveau d’innovation…) et plusieurs approches (scientifique, médicale, médico-économique).
Le résultat pourrait être sophistiqué mais efficace. Dans la réalité, c’est une gigantesque « boite noire » qui tient plus du poker menteur que de la transparence partagée, avec des prix officiels (« faciaux »), des prix réels (tenus secrets !), des prix évolutifs (accord prix-volume). Le tout dans une atmosphère de compromis constant où pouvoirs publics et labos jouent leur propre partition forcément faire primer l’intérêt général.
Il serait temps de tirer l’ensemble du système vers le haut. Comment ? Par exemple en mesurant sérieusement l’efficience des médicaments « dans la vraie vie », c’est-à-dire après leur mise sur le marché. En réévaluant périodiquement la balance bénéfices/risques à partir des signalements envoyés à la HAS. En examinant soigneusement les prescriptions ainsi que la prise effective des traitements. Mais aussi, en tenant compte de l’avis des principaux intéressés, à savoir les patients eux-mêmes. Y compris sur une durée assez longue, y compris en supprimant au besoin des indications trop larges.
Proposer le bon traitement à la bonne personne au bon moment à la bonne dose et au bon prix (j’entends par là, acceptable socialement et économiquement) : l’ambition est élevée, j’en conviens. Elle relève pourtant de l’exigence minimale et les labos auraient tort de ne pas la mettre en œuvre car leur image, déjà médiocre, en prendrait un sacré coup. La rentabilité à tout prix, c’est bon pour la Bourse. Et désastreux pour la réputation. A chacun ses valeurs, mais on ne peut pas gagner sur tous les tableaux.