Médecins, faites votre propre publicité !

Vanter ses qualités sur Internet, créer son propre site Web et y décrire par le menu son expérience, célébrer ses compétences dans un flyer : demain, un médecin, un kiné ou une sage-femme pourront le faire sans craindre les foudres des confrères… Dans ce monde corseté par le droit et les conseils ordinaux, c’est peu dire que l’avis du Conseil d’État décoiffe et qu’il va sacrément loin !

Saisi par le Premier ministre, celui-ci vient de rendre une étude sur les « règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité ». Fouillée, complète, précise, cette étude de 105 pages que votre serviteur a lue en intégralité formule 15 propositions audacieuses qui risquent de bouleverser bien des habitudes – d’autant qu’elles ont toutes les chances d’être validées par les pouvoirs publics.

Mais au fait, pourquoi cette saisine d’Édouard Philippe ? La raison tient à l’Europe. Plus précisément, à un arrêt de la CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne) de mai 2017 après une demande d’arbitrage d’un tribunal bruxellois concernant un dentiste. S’appuyant sur une directive remontant à juin 2000, la CJUE a été très claire : il est interdit d’interdire ! Concrètement, aucun État ne saurait prohiber « de manière générale et absolue » toute forme de publicité dès lors qu’elle respecte les règles de la profession (indépendance, dignité, honneur…). Elle peut certes être encadrée, réglementée, limitée, mais pas interdite. En cela, l’Europe reste heureusement loin du laisser-faire américain, où la publicité est libre dès lors qu’elle n’est pas « de nature à induire en erreur » les consommateurs.

Pour autant, le Conseil d’État va au-delà de considérations purement juridiques et c’est là qu’il est intéressant. Ses recommandations s’appuient en effet sur plusieurs constats : « un climat de défiance alimenté par des crises sanitaires », « une demande croissante d’informations encore insuffisamment satisfaite », des données accessibles « trop restrictives et source d’inégalités entre patients », « un essor rapide de l’économie numérique {qui} fragilise certaines des restrictions actuelles ».

Bref, les règles en vigueur ne sont plus adaptées à la réalité d’aujourd’hui, d’autant que les patients n’hésitent pas à chercher sur des sites plus ou moins sérieux les infos qu’ils jugent utiles – et tant pis s’ils ne tombent pas sur les bonnes. Du coup, note fort justement le Conseil d’État, chacun s’en remet au bouche-à-oreille « dont les limites tiennent à l’asymétrie d’informations entre patients suivant qu’ils ont plus ou moins accès facilement aux professions de santé ». Résultat : un Français sur quatre a déjà renoncé à des soins « faute de savoir à qui s’adresser » (sondage Opinion Way de 2017).

Pis, la législation actuelle n’est pas seulement vieillotte, elle est contradictoire voire inapplicable. Des exemples ? Une clinique peut faire de la pub, mais pas les médecins qui y exercent. N’importe quel prestataire privé a le droit de promouvoir un blanchiment des dents, sauf un dentiste. Un kiné peut faire sa pub, mais uniquement pour « des activités non thérapeutiques ». Un ostéopathe a le droit de promouvoir ses activités, pas un médecin-ostéopathe. Cherchez l’erreur…

Pour sortir de cette impasse si typiquement franco-française, le Conseil d’État fait 15 propositions précises qui ont le mérite de distinguer publicité (promotion à des fins commerciales de son activité) et information à destination du grand public – entendue comme un message « honnête, loyal, reposant sur des données validées » et respectant le code de déontologie propre à chaque profession. Outre des renseignements pratiques (horaires de rendez-vous, tarifs, majorations éventuelles etc.), ces informations comporteraient donc des éléments tels que l’équipement du cabinet, les actes habituellement pratiqués, la participation à des réseaux ou des structures de soins, la formation au long cours notamment.

Tout cela suppose évidemment un « toilettage » préalable des différents codes de déontologie, dont les conceptions apparaissent aujourd’hui bien « datées » comme le dit pudiquement le Conseil d’Etat. Cela suppose également que les professionnels évoluent et qu’ils acceptent de donner ces informations – ce qui n’est pas acquis : déjà, le Centre national des professions de santé dénonce une possible « dérive commerciale qui ne serait ni dans l’intérêt des patients ni dans celui des financeurs ». Mais ces réserves ne pèseront sûrement pas lourd face aux attentes des patients et à leur exigence de transparence. Tant pis pour ceux qui ne joueront pas le jeu, les usagers de santé iront voir ailleurs !

Alors demain, on va voir fleurir des sites Internet individuels où les professionnels de santé mentionneront ce qui fait leur petit « plus ». Selon la patientèle (enfants, femmes, personnes âgées), les activités (nutrition, tabacologie, éducation thérapeutique) ou la prise en charge (diabète, Alzheimer, cancer). C’est une avancée indéniable même elle comporte des risques de dérive. On peut s’en réjouir ou s’en inquiéter. Mais on ne peut plus l’ignorer.