Médecins nazis : le docu à ne pas rater
J’ai hésité à illustrer ce post avec la dédicace de Michel Cymes – pudeur mal placée peut-être. Si je la reproduis finalement, c’est parce que son livre est important, et qu’elle dit bien ce qui a poussé son auteur à écrire « Hippocrate aux enfers, Les médecins des camps de la mort » (1). Dans sa dédicace, ces mots : « Ai-je besoin de te dire, à toi mon ami, combien son écriture a été difficile c’est le côté sombre de mon histoire familiale et de l’histoire de mon métier. Protégeons nos enfants. Contre tout. Contre tous. »
Le document qui est diffusé ce soir sur France 2 illustre, avec des images, ce que Michel Cymes a déjà raconté dans son livre, c’est-à-dire les expérimentations auxquelles se sont livré des médecins allemands alors que les Nazis étaient au pouvoir. Des expérimentations inimaginables de cruauté, et qui aboutiront au deuxième procès de Nuremberg : 23 médecins (seulement) sur le banc des accusés, 7 condamnés à mort, 9 emprisonnés, 7 acquittés – dont certains exfiltrés par les Américains en raison de leurs compétences scientifiques susceptibles de servir les intérêts économiques des États-Unis…
Michel Cymes raconte donc l’indicible. Ces femmes à qui l’on injecte du formol dans l’utérus pour perfectionner des programmes de stérilisation à grande échelle. Ces cobayes que l’on incise à la jambe et que l’on infecte avec des virus des semaines durant, pour étudier l’efficacité de nouveaux médicaments. Ces hommes que l’on place dans des caissons pressurisés pour étudier les conséquences de l’hypoxie en haute altitude – jusqu’à leur faire éclater les tympans. D’autres que l’on plonge des heures durant dans une eau glaciale, avec prélèvement de sang et de liquide rachidien à chaque fois que l’eau baisse d’un degré.
Mais ces images, vous ne les verrez pas. « Ce qui était déjà difficile à la lecture est insoutenable à regarder » explique Michel Cymes, qui assume : « oui, je me sers de ma notoriété. Mais il ne s’agit pas de moi. Je le fais pour toucher le plus de monde possible. » Et pour que, au-delà des 150 000 exemplaires vendus (ce qui constitue déjà, en soi, une performance) le grand public découvre cette face méconnue de l’idéologie nazie. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : si 70% des médecins allemands ont adhéré au parti national-socialiste, comme le rappelle dans ce documentaire l’historien Johan Chapoutot, c’est parce qu’ils en partageaient les convictions.
Dès 1933 d’ailleurs, une loi sur « la prévention des hérédités des malades » est adoptée et entérinée par la communauté scientifique ; avec les conséquences que l’on connaît : 70 000 handicapés physiques et mentaux exécutés, 400 000 stérilisations forcées entre 1933 et 1945. D’où cette question posée par Michel Cymes et qui demeure aujourd’hui encore sans réponse : « Comment peut-on choisir un métier dont le but ultime est de sauver des vies, et en arriver à commettre de telles atrocités ? Comment ces hommes ont-ils pu trahir leur serment et envoyer Hippocrate aux enfers ? »
On pourra toujours, bien entendu, gloser sur l’intérêt de certains effets spéciaux utilisés dans le documentaire. On peut aussi – c’est mon cas – trouver la musique un peu envahissante, voire exaspérante à certains moments. Mais ces quelques critiques n’enlèvent rien à la force de ce travail, rien non plus à l’authenticité de la démarche de Michel Cymes. Regardez donc ce documentaire. Ce soir (à 22H45 sur France 2) ou en replay, mais regardez-le !
(1) : Hippocrate aux Enfers, Editions Stock, 214 pages, 18,50 euros)