Médicaments : satisfait ou remboursé ?
J’étais invité le week-end dernier pour animer une table ronde à CHAM, le « Davos de la Santé » organisé par Guy Vallancien où tout ce qui compte dans le domaine se retrouve depuis neuf ans pour échanger, débattre, confronter, sur des sujets souvent passionnants et toujours abordés « par le haut ». Le premier jour, saluant mon voisin dans la salle je m’entends répondre : « Ah c’est vous qui avez écrit le post sur le prix du Kymriah ? Bonjour, je suis le Président de Novartis (qui le commercialise). Ce serait bien qu’on en parle ». À votre convenance monsieur le président, je comptais justement revenir sur le sujet !
En l’occurrence, je souhaitais en effet expliquer la promesse de Novartis de facturer le Kymriah uniquement en cas d’efficacité. Car, beaucoup de Français l’ignorent, le principe du « Satisfait ou remboursé » existe déjà dans notre pays. Ça s’appelle « l’objectif de performance » et il a expérimenté en 2014, avec le laboratoire Celgène pour l’Imnovid contre le myélome multiple. En contrepartie d’un prix élevé (9000 euros pour 21 jours de traitement), ce dernier s’était alors engagé à rembourser les pouvoirs publics pour les patients « non répondants ».
Cette première a depuis été formalisé par un protocole signé entre l’industrie pharmaceutique et le CEPS (comité économique des produits de santé), l’organisme public chargé de fixer les prix des médicaments. Je n’entrerai pas ici dans le détail des deux formules possibles (« contrat conditionnel » et « contrat de paiement au résultat »), l’essentiel est que ce mécanisme existe, qu’il est extrêmement séduisant dans son principe mais… rarement appliqué !
Frilosité, pudeur ?…
Pourquoi ? La première explication tient à la frilosité compréhensible des autorités de santé, inquiètes à l’idée d’engager un pari potentiellement coûteux – de plus en plus de médicaments sont désormais conçus « sur mesure », fonction du profil génétique et biologique des patients et donc quasi assurés de leur efficacité. La seconde explication, plus subtile, réside dans la pudeur (appelons cela ainsi) des labos. S’engager dans cette voie, c’est en effet prendre le risque de se voir imposer le « satisfait ou remboursé » pour l’ensemble des médicaments. Un autre pari, autrement plus risqué pour eux…
Et pourtant, je suis personnellement convaincu que c’est la solution d’avenir et que le premier d’entre eux qui osera franchir le pas obtiendra, en termes d’image, des bénéfices considérables : quelle plus belle promesse pour un labo que celle d’une efficacité garantie, démontrée dans les faits, tangible pour les patients et rentable pour les finances publiques ?
La réalité est malheureusement plus triste. Comme le faisait remarquer à une table ronde à CHAM Valérie Paris, économiste à l’OCDE, « le mécanisme retenu souffre de graves lacunes et la transparence affichée a ses limites ». Car dans les faits, tout est confidentiel : le prix réellement payé par l’État, les marges dégagées par l’industrie, les sanctions financières en cas de non-performance. En outre, certains payeurs, les mutuelles notamment, ne récupèrent rien, les remises obtenues étant versées au CEPS. Enfin, les études réalisées – quand elles existent – ne remontent jamais jusqu’aux experts intéressés, à savoir la communauté scientifique et médicale.
Du courage politique
Des solutions existent pourtant pour faire de l’objectif de performance un outil efficace et équilibré. Mais elles supposent de mettre à plat l’ensemble du système. Et, donc, de définir des critères précis d’efficacité, de comparer les traitements, de partager certaines données (y compris celles de la CNAM, toujours réticente à l’idée de communiquer « ses » chiffres comme s’ils lui appartenaient). Bref, d’évaluer sérieusement, systématiquement et dans la durée, les médicaments en multipliant les études « dans la vraie vie ». Et d’en tirer les conséquences : un médicament est peu efficace ? trop ou mal prescrit ? Ses conditions de remboursement doivent être revues à la baisse.
Cette révolution conceptuelle ferait évidemment des victimes du côté de l’industrie. Elle provoquerait sans doute aussi des récriminations des patients, souvent mécontents dès qu’on les prive de « leur » médicament habituel. Et pourtant, j’en suis persuadé, à terme tout le monde y gagnerait. Les médecins, mieux informés. Les malades, mieux soignés. Les finances, mieux gérées. Et même les labos, mieux considérés car ils pourraient enfin vanter « l’efficience » de leurs traitements sans crainte d’être contredits. Encore faut-il que le gouvernement impose son point de vue. Aux industriels par la concertation ; au grand public par la pédagogie. En Macronie, on appelle cela « le courage politique ».