Cancer : le médicament à 475 000 dollars !
475 000 dollars ! J’ai cru halluciner en entendant Thierry Philip, le président de l’Institut Curie, annoncer le prix de ce nouveau traitement contre le cancer qui vient d’être autorisé aux États-Unis. C’était la semaine dernière, durant une conférence que j’animais pour cet Institut et qui a révélé la profonde méconnaissance des Français sur le coût réel des thérapies contre le cancer.
Des exemples ? La moitié des personnes interrogées par Viavoice pensent qu’une journée d’hospitalisation revient à moins de 500 euros (c’est trois fois plus). Un quart évaluent à moins de 500 euros le montant d’une chimiothérapie (c’est dix à trente fois plus). Quant au coût réel d’une immunothérapie, seuls 3% des Français donnent le chiffre exact – à savoir 80 000 à 100 000 euros.
Mais revenons-en au Kymriah, ce fameux traitement à 475 000 dollars la dose. Développé par le laboratoire Novartis contre la leucémie « lymphoblastique aigüe » de l’enfant, il est effectivement révolutionnaire. Schématiquement, il s’agit d’extraire de l’organisme des cellules appelées lymphocytes T, puis de les modifier génétiquement avant de les réinjecter dans le corps du patient. Un traitement individualisé, sur mesure, aux effets durables, et qui réussit là où tout le reste a échoué.
Sur le papier donc, le Kymriah est extraordinaire – au sens propre. Près de 85% des patients qui en ont bénéficié ont guéri en quelques semaines et le laboratoire promet de ne faire payer que ceux-là, pas les autres. D’ailleurs, fait remarquer Novartis, le prix demandé reste en deçà des thérapies « classiques » contre la leucémie telles les greffes de moelle osseuse qui reviennent à près de 800 000 dollars au système de santé américain.
D’où viennent alors mes réticences ? Du cynisme affiché par Novartis tout d’abord, y compris dans sa promotion du blog – touchant – d’Emily Whitehead, l’une des premières patientes à avoir bénéficié du Kymriah. Car enfin, à ce prix-là, le principe « satisfait ou remboursé » n’est pas un cadeau, c’est un minimum ! En outre, prendre le coût des autres thérapeutiques comme base de négociation financière a quelque chose d’indécent. Imagine-t-on Sanofi Pasteur ou MSD fixer le prix d’un vaccin contre la poliomyélite en fonction des coûts d’une non-vaccination (paralysie et autres) ? Sauf que cette fois-ci, personne ne semble s’en offusquer.
Et c’est là que le bât blesse : parce qu’il s’agit d’une approche radicalement nouvelle, mais aussi parce que l’attente des parents est immense et que la mort d’un enfant est insupportable, un labo peut aujourd’hui faire pression sur les pouvoirs publics et imposer « son » prix. En s’appuyant sur les médecins qui « en tant que soignants, ne s’intéressent pas au prix du médicament » selon Christophe Le Tourneau, responsable des essais cliniques précoces à Curie. Et sur les patients qui « n’ont aucune information là-dessus », reconnaît Isabelle Huet-Dussolier, de l’association Rose.
Certes, à en croire Novartis, « seuls » 600 malades seraient éligibles pour ce traitement. Mais 600 malades, cela représente une enveloppe globale de… 285 millions de dollars. Et ce, chaque année. Certes aussi, à en croire les quelques personnes que j’ai interrogées (labos, médecins, pouvoirs publics), si ce traitement arrivait un jour en France, ce serait « à un prix bien moindre » assurent-ils. Mais lequel ? Les deux-tiers, la moitié, le quart ? En d’autres termes, quel est le coût que notre société est prête à accepter ? Personne n’est en mesure de répondre. Car au fond, la question se résume à ceci : quel est le prix d’une vie ?