Je me souviens d’Act Up…
Je me souviens que pendant les manifs, les militants scandaient « Du latex pour ton gros sexe, des molécules pour qu’on s’encule » Fallait oser.
Je me souviens qu’à ma première RH (réunion hebdomadaire), je m’étais mis en haut, au dernier rang à droite.
Je me souviens que Clews Vellay, président d’Act Up, proclamait « Je suis black, femme, toxico, pom-pom girl » – alors qu’il n’était rien de tout ça.
Je me souviens qu’ils m’appelaient d’une cabine téléphonique à côté de leur local, « pour ne pas être écouté par les RG »
Je me souviens de mon premier zap au siège de la SNCF, de l’affolement du directeur devant la caméra, les micros, des flashs partout et un journaliste qui le bombardait de questions – c’était moi.
Je me souviens que je me suis engueulé avec Didier Lestrade, alors président d’Act Up, à propos des carrés de latex censés protéger les femmes lors des cunnilingus. Il était pour, j’étais contre. On s’est brouillé. Au moins 15 jours.
Je me souviens que les T-shirt d’Act Up, fabriqués gracieusement par Agnès B, étaient de super qualité. Je les porte encore.
Je me souviens que les 3 slogans sur ces T-shirt étaient : « Colère = Action, « Action = Vie », « Silence = mort ». Et que mon préféré, c’était le 3ème.
Je me souviens qu’Act Up voulait « outer » (dire publiquement le nom) un ministre qui avait participé à une manif homophobe alors qu’il était homo. À L’Express, j’avais défendu leur projet – au moins autant par provocation que par conviction. Seul contre tous. Quand mon chef m’avait demandé qui c’était, j’avais refusé : « Tu es contre l’outing et tu voudrais son nom ? Pas question ! »
Je me souviens que certains appelaient avec tendresse leur petit copain, « mon mari »
Je me souviens de Joëlle Bouchet, mère d’un ado hémophile et séropositif. Elle était séronégative, avait l’âge d’être leur mère ou presque, mais ce n’était pas la moins révoltée.
Je me souviens des éclats de rire de Ludo, son fils, pendant les zaps. Et que tout le monde le protégeait quand les flics approchaient.
Je me souviens que le directeur du Parisien m’avait alpagué dans les couloirs : « Hier dans un diner, on m’a dit que les moustiques transmettaient le sida ». Moi : « Impossible, le moustique aspire le sang, il ne l’injecte pas ». Lui : « Ah oui c’est vrai tu me l’avais déjà expliqué. Tu pourrais refaire un papier sur les modes de contamination ? ». Moi, trop content : « Pas de problème. Tu me donnes une demi-page ? »
Je me souviens qu’en 2001, à New York, je suis passé devant le siège d’Act Up. Et qu’il n’y avait pas grand monde à l’intérieur.
Je me souviens de Philippe Mangeot, de sa beauté, de son aura, de l’intelligence de ces interventions publiques.
Je me souviens qu’à l’enterrement de Clews Vellay, les militants avaient envahi les cafés du côté du Père Lachaise. Ils étaient tristes. Ils s’embrassaient à pleine bouche. Bistrotiers, homos : la rencontre de deux mondes.
Je me souviens que lorsqu’Emmanuelle Cosse a été élue présidente, je me suis dit : « Femme, séronégative… une page se tourne à Act Up. »
Je me souviens que les médicaments n’avaient pas des noms de médicaments : AZT, DDI, DDC, 3TC, D4T…
Je me souviens que pour le zap de Balladur nommé Premier ministre, le rendez-vous était : dimanche, station Javel, premier métro, 6H10. Sur le quai, frigorifié, je me disais que « merde, ils auraient quand même pu faire ça un peu plus tard ».
Je me souviens qu’Act Up a été la première association de patients à « parler » aux sourds-muets.
Je me souviens que j’étais capable d’expliquer simplement des trucs hyper compliqués comme la transcriptase inverse.
Je me souviens que mon « statut » d’hétéro en attirait plus d’un, et que j’aimais bien ça.
Je me souviens qu’une année, Catherine Deneuve était venue à la soirée d’Act Up du 1er décembre. Seule et en toute discrétion.
Je me souviens qu’à Act Up, on parlait de ceux dont on ne parlait jamais ailleurs : détenus, migrants, prostituées, transsexuels.
Je me souviens que, lorsque Christophe Martet a hurlé « La France, pays de merde » durant le Sidaction, j’ai pensé « Demain ils vont le payer salement ». Je me me suis pas trompé.
Je me souviens de ce jeune homme, très beau, à qui il restait un seul T4 (cellule de l’immunité) et qui disait : « J’y tiens beaucoup à mon T4 ».
Je me souviens qu’on voyait de nouveaux visages aux RH. Puis qu’on les voyait moins. Puis plus du tout. Et qu’on apprenait leur mort quelques semaines plus tard.