grandes écoles épisode 2: le règne du « grand flou »

Mon dernier post a provoqué de nombreuses réactions, y compris sur mon adresse mail, et je vous en remercie – notamment l’internaute qui m’a fait remarquer que le rapport était signé Bernard et non Jacques Attali…

Je voudrais revenir sur un point qui me semble essentiel dans la problématique des grandes écoles: cet « entre soi » que je mentionnais précédemment. Un « entre soi » qui repose sur des règles implicites et floues et, partant, difficiles à maitriser pour celui qui n’a pas les « bons » codes.

Un exemple parmi d’autres: longtemps, dans les lycées réputés comme Henri IV, les parents « bien informés » savaient que pour entrer dans la « bonne » filiale, celle qui assurait aux élèves les meilleures classes, leur enfant devait faire allemand première langue et «  initiation latin » dès la 5ème!

Pas seulement parce que l’allemand s’apprend moins facilement que l’anglais; pas seulement parce que le latin constituait une matière à option – donc réservée à ceux qui ont une capacité de travail supérieure aux autres. La réalité, c’est que l’allemand faisait office de sélection – mais de façon implicite, jamais officiellement. Seuls ceux qui étaient au courant bénéficiaient du tuyau.

A l’inverse, pour virer un élève de façon « élégante », il suffisait de l’orienter en « B » (l’actuel « ES ») au lycée, car Henri IV n’avait comme option que scientifique ou littéraire – pas de chance pour les autres!

De la même façon, le choix de la scolarité à Sciences Po relevait d’un savant dosage entre les bons profs, les bonnes options et les bonnes heures – mieux valait choisir un TD à 8 heures du matin qu’à 16 heures par exemple, car cet horaire-là était censé être demandé par les étudiants sérieux… Mais là encore, les « lieux » réels de valorisation étaient masqués. Ou, à tout le moins, pas définis comme tels.

Je ne découvre pas l’injustice du monde ni le phénomène des « transactions cachées » – Bourdieu en a parlé bien avant moi, et bien mieux que moi. Mais je constate qu’aujourd’hui, de fait, la sélection est encore plus violente qu’elle ne l’était il y a une vingtaine d’années. Un exemple, un seul: le taux d’élèves enfants d’ouvriers à Normale Sup a été divisé par 3 en 50 ans à peine.

Et je dénonce avec force l’injustice flagrante de ces critères de sélection qui ne disent pas leur nom et qui aboutissent à des jugements portés indépendamment de la valeur intrinsèque d’un élève. Des critères peu objectivables, dont l’un des fleurons en France demeure la notion de « culture générale ». Comme si la culture générale n’était pas finalement plus sociale que culturelle…